De la doxa à l'Alètheia s'ouvre pour l’être humain le vaste champ de la pensée

24/03/2021

Je trouve que le mot "conscience" est un mot galvaudé de nos jours. Partout on nous dit qu'il faut prendre conscience de ceci ou de cela sauf qu'on nous nous donne pas toujours les bons outils pour y arriver

Aujourd'hui, presque tout le monde passe par l'école. Certes on y apprend beaucoup de choses, des savoirs, des savoirs faire sans oublier le volet éducatif. Dans une telle institution, on nous apprend le langage discursif, le raisonnement deductif mais est ce vraiment suffisant pour que nous accédions forcément à notre propre conscience ?

De plus en plus et avec le "progrès " et la modernité, nous rejoignons la cité et du coup nous devenons d'une certaine manière enclavés par la force des choses. Nous passons la plupart de notre temps dans des pavés que ce soit à la maison, à l'école, dans le travail, dans les hôpitaux et même dans les transports. Du coup nous sommes de plus coupés de la Nature et du coup nous avons tous perdu le sens de la mesure. Tout nous paraît simple, normal. Tout nous est dû. Nous avons fini par intégrer le modèle linéaire du progrès. Nous attendons toujours d'avoir plus que la veille et du coup nous sommes devenus esclaves du règne de la quantité dont parle si bien René Guénon. Devenus des soumis au consumérisme, nous sommes devenus incapables de distinguer entre l'utile et le futile.

Nos expériences deviennent en réalité de plus en plus rares tellement nous nous sommes acclimatés à faire les mêmes gestes quotidiens.

Le résultat de notre suffisance a eu comme conséquence un réel déficit dans nos vies respectives en termes d'expériences à grandeurs natures.

Pour étayer mes propos, j'aimerais partager avec vous cette expérience que je suis entrain de vivre actuellement lors d'un circuit effectué dans le sud marocain. De Ouarzazate à Tafraout en passant par Zagora, Tata et Tafraout, j'ai pu voir des paysages magnifiques et discontinus. Tantôt, c'est le règne du minéral qui prend le dessus tantôt c'est celui du végétal et de l'animal.

Qu'est-ce qui ce fait la différence à votre avis si ce n'est l'élément eau, élément que le philosophe Thalès a érigé comme principe premier à l'instar de la civilisation babylonienne qui l'avait précédé.

Un verset coranique fait d'ailleurs l'éloge de cet élément en disant :" Nous avons fait de l'eau toutes choses vivantes ".

En l'absence de l'eau, la Nature excelle dans le règne minéral et en sa présence, elle excelle dans le règne végétal et animal faisant ainsi surgir des oisis de nulle part.

Oui, mes propos se focalisent justement sur cet élément qui devient de plus en plus rare, Eau que ces jeunes filles, que ces femmes vont chercher très loin pour permettre à la vie de suivre son cours. L'eau tel un fardeau qui courbe l'échine de tous ceux qui le transportent allant même jusqu'à les condamner à payer la facture tôt ou tard.

Je pense sincèrement que c'est bien par le voyage que commence l'expérience qui mène à la prise de conscience de l'importance des choses et que le discernement s'opère in fine entre l'utile du futile. Dans nos cités nous avons occulté cette dimension de discerner entre les choses. Il nous suffit à tous d'ouvrir le robinet pour boire, se faire propre et gaspiller aussi ce trésor en lavant les voitures, en arrosant du gazon pour créer un paysage qui est tout sauf naturel. En faisant cela, nous faisons en réalité le chemin inverse de la conscience qui est celui de la preuve de notre inconscience.

Pendant que la compagne marocaine et certaines villes s'assèchent de jour en jour, nous continuons à prouver notre démesure en semant du gazon qui boit une eau qui met en péril des hommes et des femmes dont personne ne se soucie.

[18:53, 24/03/2021] Mohamed Aimed: Thème : De la doxa à l'Alètheia s'ouvre pour l'être humain le vaste champ de la pensée.

Pour répondre à l'éloge qu'il a reçu d'Alcibiade au sujet de la beauté de son âme, Socrate disait :

" Les yeux de l'esprit ne commencent à être perçants que lorsque ceux du corps commencent à baisser ".

Selon Socrate, il existe donc aux côtés des yeux du corps par lesquels l'homme perçoit son milieu ambiant, un esprit subtil et ineffable par lequel il appréhende l'essence même de toute chose.

Ainsi entre une matière physique d'apparence inerte et un esprit subtil de l'ordre de la métaphysique s'est instauré un vrai débat qui trouve ses origines au début même de la philosophie grecque et qui s'est prolongé par la suite pour concerner les différentes écoles philosophiques de toute l'antiquité.

Dans ces débats, la rationalité s'est imposée comme la voie par excellence qui a permis à l'homme de contempler une Vérité qui jusqu'ici lui a été voilée par un règne sans partage de la mythologie et de la poétique.

Cette dualité composée par la matière et par l'esprit s'est imposée à l'homme initié telle un pavé mosaïque et elle a contribué à l'émergence de différentes écoles de pensées qui ont fait la grandeur de la Grèce antique.

Comme nous le savons, ce sont les philosophes naturalistes de l'Ionie qui ont été les premiers à rompre avec les traditions mythologiques et poétiques dont Hésiode et Homère étaient les plus grandes figures emblématiques.

De tels philosophes ont eu cette particularité d'ériger l'intellect comme l'outil par excellence qui a permis à l'homme de se libérer des chaines d'un certain esclavagisme imposé par le dictat de la superstition et du mythe.

Oui, c'est grâce à la lumière de l'intellect que l'homme a pu sortir de son sommeil qui le maintenait prisonnier de ses propres sens au sein de cette caverne que décrivait si bien le philosophe Platon. Oui, c'est grâce à l'intellect qui représente selon Aristote l'identité même de notre propre être, que l'homme a réussi à mourir aux apparences, renaître enfin à la réalité des choses et agir librement en prenant possession de soi comme le laisse entendre la philosophie de Bergson. Oui, c'est grâce à ce souffle divin qui est le propre de tout un chacun que l'homme a pu sortir de l'ignorance que lui imposait cette caverne pour enfin s'exposer à la lumière que lui confère le savoir et la connaissance.

C'est pour accéder aux mystères qui se trouvaient derrière l'Ordre du Cosmos que ces philosophes de la Nature, tels que Thales de Milet, Anaximène, Héraclite et Empédocle ont spéculé sur la matière et fait respectivement de l'eau, de l'air, du feu et des quatre éléments la cause première de la génération et de la corruption de toutes choses.

De tels philosophes ont érigé la cause matérielle en tant que cause formelle faisant ainsi de l'essence de la chose son propre germe. Avec de tels philosophes, le concept de l'immanence a pris le dessus sur celui de la transcendance ouvrant ainsi un vaste champ à la spéculation dans le domaine de la topologie mathématique, ce domaine nouveau qui a le pouvoir d'instaurer un continuum entre deux espaces qui en apparence semblent disjoints à savoir celui de la matière et de l'esprit.

Ce qui est extraordinaire à relever ici est que la pensée pure qui par définition échappe à tout support matériel a cette caractéristique du fait de sa subtilité d'être volatile car légère. Ainsi, la pensée qui émane des plus hautes sphères de la science et qui survole le monde de la conscience, possède cette vertu de pouvoir nous faire contempler la connaissance qui réside dans le monde non manifesté à savoir celui de l'immuable et de l'ineffable.

Alors qu'on commençait à peine à s'habituer à l'idée selon laquelle la matière serait la cause de toute chose, voilà qu'arrive ce philosophe et mathématicien nommé Anaxagore pour remettre tout en question en érigeant le « Noùs », l'esprit, l'intellect au rang du principe premier et reléguant ainsi la matière au rang des effets.

C'est ainsi que le cinquième élément qui est le Noùs, celui-là même que les anciens nommaient l'Ether a d'après Anaxagore fini par prendre sa revanche en se révoltant contre une matière jugée inerte et pesante et rétablir ainsi l'ordre des choses en mettant ce qui est subtil au-dessus de ce qui est épais. Une telle révolte de l'esprit contre la matière a eu comme conséquence de rompre une hétérogénéité qui n'avait pas lieu d'être et d'instaurer in fine la transcendance comme principe à la place de l'immanence jugée caduque et de promouvoir à nouveau la dualité contre une l'Unité qui semblait acquise.

Pour ne pas m'attarder là-dessus, je vous inviterai volontiers à parcourir les différentes écoles philosophiques grecques ainsi que les pensées respectives qu'elles véhiculaient afin de prendre vous-même l'ampleur de la richesse qu'elles distillaient en termes de concepts concernant le principe premier. Ainsi on s'aperçoit que chez les pythagoriciens comme chez les philosophes de l'école Eléate représentée par Xénophane, Parménide et Zénon qu'un tel principe premier était plutôt une entité spirituelle qu'on nommait « L'Un » contrairement aux écoles telles des Naturalistes, d'Epicure et de Démocrite où un tel principe s'identifiait plutôt à un ou plusieurs éléments de la matière.

Après avoir survolé ces différentes conceptions de la cause première qui se trouvent derrière la génération et la corruption de toute chose, revenons maintenant au vif de notre sujet et voyons comment pouvons-nous décliner cette maxime Socratique qui stipule que " Les yeux de l'esprit ne commencent à être perçants que lorsque ceux du corps commencent à baisser ".

En première lecture, nous constatons que la citation de Socrate semble parfaitement s'inscrire dans la droite ligne de la pensée du philosophe Anaxagore qui prônait aussi la suprématie de l'esprit sur la matière, une suprématie acquise après une lutte acharnée qui est symbolisée dans un certain ordre initiatique par le Compas de Talos qui a pour finalité de prendre le dessus sur l'Equerre de Dédale. Dédale que la jalousie a poussé à précipiter son neveu Talos du haut d'une tour, jalousie que peut traduire la notion de la quadrature du cercle qu'Anaxagore nous a légué et qui traduit l'incapacité du carré qui est l'œuvre de l'Equerre à recouvrir complètement le cercle qui est l'œuvre du compas.

Un tel combat que nous décrit Anaxagore traduit la volonté de l'esprit d'accéder à son libre arbitre et de faire ainsi sienne la maxime du philosophe Bergson qui nous dit que: « Agir librement, c'est prendre possession de soi ».

Prendre possession de « soi » revient donc à nous saisir de notre réelle identité éternelle et intemporelle que constitue notre propre intellect, intellect qu'Aristote qualifiait d'ilyque et qui constitue notre seul rempart contre un certain « moi » qui est éphémère, égocentrique et dévastateur, un moi que symbolise à la fois notre corps et la partie animale de notre âme restent malheureusement assujettis aux fluctuations des différents désirs.

La maxime socratique, a non seulement cette vertu de nous faire prendre conscience que notre acuité relative à l'esprit est nettement plus aiguisée que celle de nos propres yeux mais qui en plus de cela nous renseigne sur le fait que les deux acuités dont il s'agit ici se trouvent finalement être inversement proportionnelles.

En réalité, Socrate veut tout simplement nous dire à travers sa maxime ce que le prophète Mohammed nous avait déjà dit dix siècles plus tard à savoir « Mourez avant de Mourir ». Ainsi le philosophe dont l'objectif premier est la recherche de la Vérité doit apprendre à mourir quotidiennement à ce qui est éphémère à savoir à tout ce qui relève du corps pour in fine se consacrer à tout ce qui est de l'ordre de l'âme intellective et donc de la conscience.

Pour Socrate, la Vérité ne peut jaillir qu'une fois le corps est séparé de l'âme ce qui rend finalement la mort profane une réelle délivrance pour embrasser finalement la vraie connaissance. Mourir en philosophe consiste donc à occulter tous ces désirs que nous imposent notre propre corps périssable et éphémère ainsi que notre âme végétative et sensitive et se consacrer à ce qui est éternel à savoir tout ce qui est du domaine de l'esprit et donc de l'âme intellective.

Nous savons pertinemment que les fluctuations des acuités relatives à l'esprit et au corps ne sont pas à mettre sur le crédit de l'âge mais plutôt elles qu'elles sont à corréler au degré de notre conscience que chacun de nous a pu atteindre par un travail sur soi.

On ne peut pas donc mettre sur la même balance ceux qui sont conscients d'une telle quadrature du cercle que nous impose la dualité matière-esprit et qui essaient tant bien que mal d'en trouver une solution et ceux qui ne font aucun effort intellectuel et qui se satisfont souvent d'une vie consacrée uniquement à l'oisiveté et à la paresse. Le verset coranique 9 de la sourate 39 nous dit à ce propos « Sont ils égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? »

Il suffit pour cela de regarder autour de nous pour nous apercevoir que ce qui fait vraiment défaut à l'humanité ce n'est pas l'absence de l'acuité de l'organe de la vision mais plutôt l'exercice d'un intellect qui est resté souvent en jachère alors qu'il est supposé être l'organe par excellence qui les caractérise, qui les définit même en tant qu'êtres humains et qui les distingue du règne minéral, végétal et animal.

Ainsi l'homme qui se contente de faire uniquement appel à l'âme motrice, à l'âme végétative et à l'âme sensitive et qui occulte par conséquent la composante intellective de son âme à savoir ce Logos qui fait sa singularité même et qui constitue le noyau même de ses composantes ontologiques n'est en réalité que la négation même de l'homme du fait qu'il se prive de l'essentiel à savoir ce que le Coran appelle « RUH », ce souffle divin qui se trouve être le vecteur essentiel de la connaissance.

À ce propos, le Coran dit à la Sourate 22 au verset 46 :" Est ce qu'ils n'ont pas marché sur la terre pour avoir des cœurs avec lesquels ils raisonnent et des oreilles avec lesquels ils entendent. En réalité ce ne sont pas les yeux qui s'aveuglent mais plutôt les cœurs qui sont dans les poitrines.

« Il n'y a qu'un seul bien, la connaissance, et un seul mal, l'ignorance » nous dit Socrate. Ainsi, la connaissance dont il s'agit ici est ce que nous nommons communément la Vérité qui n'est accessible que par une sorte de dévoilement qui fait appel à l'intellect, dévoilement connu aussi sous le nom d'Alètheia.

Alètheia qu'il ne faut surtout pas confondre avec la doxa qui est cette opinion qui émane de partout et de nulle part et qui est l'œuvre des conjectures hâtives qui sont le propre de l'homme voilé par l'ignorance.

Ainsi, nous trouvons en Socrate le philosophe par excellence qui a combattu sa vie durant la doxa et qui a fait de l'Alètheia une hygiène de vie. Ce penseur qui avait opté pour l'exercice d'une rigueur intellectuelle sans précédent que lui conférait la maïeutique dont il se servait pour dévoiler l'occulte et pour révéler une Vérité soumise aux aléas de l'oubli que les anciens nommaient la léthé.

Pour Socrate, le savoir consiste justement à veiller jalousement sur ses connaissances originelles acquises lors de notre genèse dans un monde intemporel alors que l'oubli quant à lui consiste à la perte sèche d'une telle Science intérieure.

Une telle Science intérieure que Socrate allait chercher dans ses tréfonds, aidé en cela par son daïmon, cette entité avec laquelle il dialoguait lorsqu'il se trouvait face à des doutes, entité qui lui permettait de se souvenir du contenu de sa mémoire originelle par une sorte de réminiscence.

Pour Socrate, « apprendre » n'est pas autre chose que de « se souvenir » de cette connaissance immanente à tout un chacun, « con-naissance » dont l'étymologie même nous renvoi à l'idée de « naître avec ».

« Apprendre » et donc se souvenir résume en soi l'enseignement de la fameuse injonction socratique du « Connais-toi toi-même », injonction qui nous rappelle le courage d'Orphée qui n'a pas hésité un seul instant à brandir les dangers de l'Hadès afin de lui arracher sa bien-aimée Eurydice symbole d'une connaissance oubliée au fin fond de sa propre Mémoire que les anciens appelaient Mnémosyne.

Le « daïmon » de Socrate ne diffère guère de la « Moira » d'Aristote qui nous renvoie d'ailleurs à « l'Eileithyia » cette déesse qui était responsable de l'accouchement de la Vérité.

Ainsi, accoucher de la Vérité est le devoir par excellence de tout homme digne de ce nom qui s'était engagé par le passé à assumer un dépôt qui lui a été remis, un dépôt que même les cieux, la terre et les montagnes ont refusé d'assumer comme le stipule le texte coranique au verset72 de la sourate 33 : « Nous avions proposé le dépôt aux cieux, à la terre et aux montagnes et ils ont décliné notre proposition et nous avions été indulgent envers eux, alors que l'homme l'a accepté car il a été en cela injuste et ignorant ».

Accoucher de la Vérité est le seul bonheur qui vaille vraiment la peine et qui justifie en soi toute une vie de pur labeur nous martèle Socrate. Faire jaillir la Vérité du fond du puits comme le laisse entendre le philosophe Démocrite, c'est exercer ce devoir de mémoire qui s'impose à tout un chacun pour nous rappeler des germes qui nous fondent en tant qu'êtres.

Un tel dépôt qui n'est autre que la connaissance dont il s'agit ici dans ce texte, connaissance que le Coran évoque au verset 32 de la sourate 2 : « Il a appris à Adam tous les noms de toutes choses », connaissance que même les anges ne pouvaient d'ailleurs détenir. Une telle Connaissance qu'évoque à nouveau la Sourate de l'Adhérence qui dit : « Lis au nom de ton seigneur qui a tout créé, qui a créé l'homme d'une adhérence ! Lis, car la bonté de ton seigneur est infinie, c'est lui qui a enseigné à l'homme ce qu'il ignorait. Et pourtant c'est cet homme-là qui devient rebelle, dès qu'il se sent en mesure de se suffire à lui-même ».

Rebelle, suffisant, injuste et ignorant, voilà les travers qui caractérisent l'homme qui a préfèré l'a peu près à la complétude originelle, l'oubli au souvenir et la doxa à l'alètheia.

Chercher la Vérité revient donc à pratiquer l'Alètheia. Chercher la Vérité c'est agir tel le philosophe Parménide qui par l'inspiration divine a pu traverser le monde intermédiaire qui sépare terre et ciel, monde intermédiaire qu'Henry Corbin appelait le Mundus Imaginalis, un monde où le sensible s'intellige et où l'intelligible s'imaginalise. Chercher la Vérité c'est créer ce pont nécessaire qui permet de réunir ce qui est épars à savoir le monde physique et le monde métaphysique et faire jaillir ainsi l'être du non-être.

La quête du poète est en quelque sorte une voie de l'imagination créatrice, voie qui permet l'élévation de l'intellect au détriment des sens qui eux restent soumis quoiqu'on dise à la loi de la pesanteur. Le poète tel le philosophe a élu demeure dans le monde des idées cher au philosophe Platon, il voyage ainsi par la pensée entre le monde de son existence temporelle et le monde de son existence intemporelle. Par poésie qui est une sorte de procréation intellectuelle et de réminiscence, l'aède accède ainsi à l'éternité que lui confère la connaissance.

« Rappel ! car le rappel est utile à l'homme de foi » nous dit le texte coranique à la sourate 51, verset 55. L'homme de foi n'est pas celui qu'on essaye de nous vendre à tout prix à savoir cet étant qui se voile derrière les apparences et qui fait semblant de se rappeler. Le vrai homme de foi est celui-là même qui milite à faire jaillir l'être de son propre étant, l'esprit du corps et qui mène le vrai Jihad contre lui-même afin de séparer le subtil de l'épais, de distinguer l'éphémère de l'éternel et de purifier une âme soumise aux tentations du vice .

Il est indéniable que l'être humain est avant tout un intellect, une essence qui est descendu des cieux pour mouvoir un corps qui au départ était inerte et formé d'argile comme le stipule le verset coranique 71 de la sourate 38 : « Je vais créer l'homme d'argile et quand je l'aurai constitué et lui aurai insufflé de mon Esprit, prosternez-vous devant lui ». Esprit qui s'apparente ici à ce que les philosophes Aristote et Al Fârâbî appelaient l'Intellect Agent, Intellect qui renferme toute cette connaissance originelle que l'intellect Ilyque doit aller chercher par l'exercice de la pensée afin de faire jaillir ce que nous nommons la Vérité.

Ainsi, tous ceux qui effectuent ce voyage qui s'apparente à une Oddysee céleste pour permettre à la pensée de s'écouler du monde idéal vers le monde de l'existence sont en quelques sortes des poètes à l'instar du philosophe Parménide qui nous dit que « l'être est et le non-être n'est pas » ou de Descartes qui nous ont légué cette maxime qui dit que :" Je pense donc je suis " et qui en quelque sorte assujettie l'existence à l'idéal.

Ainsi, le penseur est une sorte de passeur qui voyage entre le monde idéal qui abrite les idées et le monde réel où de telles idées trouvent leurs images sous forme d'épiphanies ou même des théophanies. En procédant ainsi, le penseur remédie à ce constat formulé par Aristote et qui stipule que la Nature aurait horreur du vide. En instaurant un tel continuum, le penseur crée une sorte de Barzakh entre le manifesté et le monde non manifesté.

Ainsi, le penseur reste fidèle à la définition même que donnait Socrate du poète lorsqu'il disait que :" Le poète est la cause qui fait passer quelques choses du non-être à l'existence ".

La doxa de l'existence et l'Alètheia de l'idéal constituent en soi les extrémités entre lesquels oscille l'homme pendule, extrémités qui traduisent finalement toute l'amplitude qui sépare l'homme de sa négation. Entre la doxa qui mène à l'oubli et l'Alètheia qui mène à la réminiscence se situe la vraie quête de l'homme qui veut échapper au non-être et à l'ignorance et qui aspire à la connaissance synonyme de l'être retrouvé.

A chacun donc sa voie comme le stipule le texte coranique (S :109 ; V : 6) lorsqu'il dit : « A vous votre religion, à moi la mienne ».

L'homme d'aujourd'hui est promu par tous les moyens à oublier et à s'oublier lui-même malgré son degré d'instruction afin de servir de cobaye dans une société livrée au consumérisme à outrance. Même l'homme instruit porte bien l'appellation dont nous parle Nietzche dans son livre « Ainsi parlait Zarathoustra », celle de « cheptel des savants ».

Ainsi, malheureusement l'homme a tendance à préférer la vie au fond des vallées au détriment d'une vie sur la cime de la montagne qui elle impose le sacrifice d'emprunter des sentiers non battus.

« Deviens qui tu es » nous dit toujours ce même philosophe éveilleur d'une conscience qui se trouve une étape nécessaire sur la voie d'acquisition de toute science intellective, étape ultime avant d'atteindre la connaissance.

A notre époque, l'homme préfère de plus en plus surfer sur les amplitudes « des idées toutes faites » afin de se voiler la face au lieu de s'atteler à relever le défi qui est le sien à savoir se perfectionner sur le plan intellectuel et moral et révéler ainsi la Parole qui a été perdue ou occultée. Bref l'homme doit répondre par l'affirmatif à l'injonction du prophète Jésus Chris qui a dit : « Lève-toi et marche ».

Seules donc l'appel à la réflexion et à l'exercice de la pensée sont susceptibles de ramener la connaissance du domaine de l'oubli et de la léthé au domaine de l'existence au sein de notre mémoire afin qu'elle puisse enfin être réactualisée et revivifiée à l'instar de la démarche accomplie par Orphée. Boire l'eau à la source de la Mémoire et tourner enfin le dos à l'eau de la source de l'oubli est la vraie démarche de l'homme assoiffé de connaissance.

« Les hommes dorment, une fois morts ils se réveillent » nous dit le prophète Mohammed. Une telle maxime sonne comme un appel à l'initiation qui nécessite de notre part un réel sursaut qui passe forcément par l'épreuve de la Terre, cette épreuve ô combien utile car elle nous met face à nous-même et nous permet de mourir à une vie jugée chaotique et renaître enfin à une vie meilleure.

C'est grâce à cette mort initiatique que nous nous donnons la chance de rajeunir par le souvenir une gnose devenue obsolète et devenir des hommes au sens de Diogène de Sinope, ce philosophe qui sillonnait le jour les rues d'Athènes muni de sa lampe à la recherche de l'homme originel qu'il nommait "L'Homme".

Rajeunir la gnose c'est révéler à nouveau cette Parole à propos de laquelle l'Évangile de Jean disait :" Au commencement était la Parole et la Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu". Rajeunir la gnose, c'est diviniser l'homme qui sommeille en soi et le rendre ainsi à l'image de Dieu. Rajeunir la gnose, c'est nager à contre sens du courant à l'instar du Saumon qui remonte la rivière, qui prend tous les risques afin de retrouver le lieu de ses origines et rejoindre ainsi la postérité une fois qu'il a accompli son devoir qui consiste à pondre des œufs qui vont lui assurer l'éternité à travers la procréation.

Procréer c'est donc rajeunir ce qui commence à devenir vieux. Il y'a ceux qui procréent par le corps en laissant derrière eux une progéniture qui leurs assure une sorte d'éternité et il y'a ceux qui procréent par l'esprit en faisant jaillir l'être du non-être afin de faire surgir l'essence des choses des choses elles-mêmes à l'instar de ce verset 41 de la sourate 43 qui dit :" Nous allons leurs montrer nos signes dans les horizons et au fond d'eux-mêmes jusqu'à ce qu'ils aient la preuve qu'il est la Vérité ".

Ainsi, celui qui arrivera à déceler les signes dont il s'agit ici dans ce verset aura par conséquent la primeur de révéler la connaissance ultime à savoir l'idée qui se cache derrière le symbole, idée qui s'apparente à la Vérité Absolue et non aux vérités multiples qui font retourner l'homme dans la caverne de Platon et dans les travers du nihilisme.

De la conjonction de l'Apparent et du Caché jaillit enfin la Vérité pour l'homme doué de discernement, conjonction des opposées qui nous rappelle la philosophie d'Héraclite ainsi que celle que véhicule le texte Coranique sous forme ésotérique lorsqu'il définit le divin par le binaire et par des opposés et ce au verset 3 de la sourate 57 qui dit : « Il est le Premier et le Dernier, l'Apparent et le Caché ».

" Ceux qui invoquent dieu debout, assis ou allongés sur leurs côtés et ceux qui réfléchissent à la création des cieux et de la terre. Mon dieu tu n'as pas créé tout cela inutilement.", nous dit ce verset coranique 191 de la sourate 3 qui fait de la foi opérative un préalable de la foi spéculative.

Invoquer le non manifesté tout en réfléchissant sur le manifesté apparait comme la voie à suivre pour dévoiler la Vérité. Ainsi la pensée intellective sonne comme le prolongement même du "Dikr" c'est-à-dire du rappel du divin. Rappel qui nous renvoie à l'exercice de la mémoire détentrice de la connaissance originelle érigée comme le plus haut degré de la Vérité ultime.

Penser la création c'est penser l'Etant Apparent en vue de dévoiler l'Etre Caché se trouve être la démarche même de l'initié qui œuvre à chercher l'idée derrière le symbole. Une telle démarche a été initiée d'abord par Parménide avant qu'elle soit développée par Heidegger sous le nom de la phénoménologie.

Pour ce philosophe, l'homme admet trois composantes ontologiques qui lui permettent d'appréhender la Vérité, composantes qu'il nomme « compréhension » du monde manifesté, « disposition affective » et « Logos » qui lui veille à rendre compatible ce qui émane de la compréhension et de la disposition affective afin que jaillisse enfin l'Être qui s'abrite derrière l'Etant.

Lorsque nous regardons de près ce que dit le verset 41 de la Sourate 43 et ce que dit Heidegger à propos des trois composantes ontologiques de l'homme, nous ne pouvons que rester bouche bée tellement le parallèle est frappant entre les deux visions philosophique et théologique.

Aristote qu'on nommait le premier Maître allait aussi dans le même sens lorsqu'il disait que le but ultime de toutes choses à savoir la cause finale consistait avant tout à ce que tous les lieux propres à savoir les êtres singuliers rejoignent le lieu commun qui n'est autre que ce que ce péripatéticien appelait le "Moteur Premier".

Il est dit quelques parts "qu'il est plus facile pour l'homme de faire son devoir que de le comprendre". Si "faire son devoir" relève souvent du mimétisme, "comprendre son devoir" relève plutôt de la conscience qui est une étape nécessaire pour toute action intellective digne de ce nom.

L'homme qui est censé être libre et de bonnes mœurs doit confirmer cette assertion sur le terrain de la réalité par des actes en s'inspirant de cette maxime hermétique qui dit que « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas », faisant ainsi de l'éthique qui émane du monde intelligible le modèle même de l'esthétique qui orne le monde sensible qui l'abrite. Par la force de son caractère, il aura réalisé la conjonction d'une sagesse qui préside à la construction de son propre édifice et de la beauté qui orne et témoigne de l'harmonie de sa vie. En cela, il aura rejoint la pensée de Platon qui préconise que « la Puissance du Bien s'est réfugiée dans la Nature du Beau ».

Si la connaissance semble nous être immanente, cela ne signifie en aucun cas que nous la possédons pour autant à tout moment. Ce n'est que par une démarche opérative que nous finissons un jour par accéder à une telle connaissance que nous pouvons rendre par la suite spéculative. Ainsi, portés par l'élan de la vie, nous nous lançons tous que nous sommes dans des expériences dont nous ignorons au préalable les tenants et aboutissants. Ce sont ces expériences qui un jour finissent par nous révéler cette connaissance qui nous prouve que in fine que nous étions injustes et ignorants. Injustes car nos engagements qui sont souvent irréfléchis peuvent s'avérer parfois nuisibles à autrui. Ignorants car nos actes n'émanent pas toujours de notre propre intellect.

" Connais-toi toi-même et tu connaitrais les dieux et l'univers ", nous disait Socrate. Une telle injonction nous laisse le choix entre la connaissance opérative basée uniquement sur l'expérience et la connaissance spéculative qui émane du raisonnement discursif.

Mais peut-on atteindre la gnose spéculative sans passer par la gnose opérative ? Une telle gnose spéculative est-elle vraiment transmissible ? En voilà des questions qui méritent réflexion.

Penser c'est procréer par l'esprit afin de passer à la postérité et accéder de ce fait à l'immortalité. Penser, c'est agir à l'image du divin qui a donné vie à l'univers à partir du néant par le seul acte de l'Amour comme le stipule ce hadith du prophète :" J'étais un trésor caché et j'ai aimé à être connu. Ainsi j'ai créé les créatures pour être connu ".

L'homme qui se donne ainsi à la pensée est souvent motivé par l'amour du bien. À sa façon, il fait appel à ce qui le fonde afin de produire des idées qu'il arrache au monde des Formes dont parlait le philosophe Platon pour leurs donner vie dans son quotidien.

Pour arriver à sa fin, le penseur fait appel à l'imagination créatrice qui lui permet de remonter le chemin de la conversion chère au philosophe Plotin, chemin qui passe forcément par les différentes hypostases qui mènent à la contemplation du Beau et du Bien.

L'homme qui pense gravir ainsi l'échelle de la connaissance doit se plier à une certaine dialectique que représente la théorie de la connaissance développée par des philosophes tels Platon ou Plotin. De telles théories sont des vraies voies qui conduisent l'individu au perfectionnement intellectuel et moral. Ne peut donc prétendre à la connaissance qui veut car la connaissance est l'aboutissement de tout un processus complexe qui mêle Amour, Conscience et Science.

Ainsi pour Socrate, tout homme qui aspire à la connaissance doit suivre une démarche rigoureuse qui commence d'abord par l'amour de soi, ensuite de ses semblables et enfin de tous les êtres. De cette amour du sensible naîtra la conscience de l'homme au concept de l'âme singulière, ensuite de l'âme des autres et enfin de l'Âme du monde.

Muni de sa conscience, s'ouvrira ainsi pour l'homme le champ de la Science où il sera appelé à aiguiser son propre intellect. Et c'est par l'exercice de la pensée que s'ouvrira enfin pour lui la porte ultime qui le mènera par la suite à la contemplation du divin.

Contemplation à propos de laquelle, Diotime, cette femme étrangère à la société grecque mais ô combien intime pour Socrate nous disait qu'elle est le but et le dernier degré même de toute initiation aux mystères de l'Amour.

Mais la contemplation dont la finalité est d'avoir la proximité de l'âme avec la Nature et voire même avec le divin reste le propre à la fois des yeux et de la pensée. Alors qu'est ce qui a amené Socrate à nous assainir une telle phrase qui stipule que : " Les yeux de l'esprit ne commencent à être perçants que lorsque ceux du corps commencent à baisser " ?

En réalité, Socrate estime que nos sens sont incapables d'appréhender l'intelligible et que seule la pensée pure a cette faculté de percer les mystères de la Vérité. Dans son livre les Ennéades, Plotin va à l'encontre de la pensée socratique et considère de son côté que l'état contemplatif est plutôt un contact ineffable et non intelligible qui est antérieur à la pensée même. Il s'appuie en cela sur le fait que le Bien (dieu) éclaire de sa lumière toutes les idées. Autrement dit, Plotin affirme que l'hypostase de l'intellect émane elle-même de l'hypostase de l'Un, c'est-à-dire que c'est par l'Intellect Agent et non par l'intellect ilyque que l'homme contemple le Beau, le Bien, l'ineffable et l'immuable à savoir le Surêtre.

En guise de conclusion, je dirai que pour l'homme conscient, "Seule la Voie de la Vérité vaut la peine d'être vécue".