Le bateau de Thésée comme symbole de l'identité!

22/03/2021

Pour répondre à cette question qui nous taraude tous à savoir "qui suis-je", il m'a semblé opportun de me référer à ce récit du bateau de Thésée pour y puiser tout l'enseignement dont il est potentiellement porteur.

Aujourd'hui nous constatons que plusieurs conflits et crises que traverse l'humanité trouvent leurs origines et leurs fondements dans ce concept qu'est l'identité, concept qui a été d'ailleurs fortement discuté par de grands philosophes de la Grèce antique.

Entre la philosophie du devenir d'Héraclite et la philosophie de la permanence ontologique de Parménide s'ouvre pour tout un chacun un vaste champ de la pensée et de la spéculation pour cheminer sur la voie de l'identité.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il serait judicieux de revenir sur les tenants et les aboutissants de ce récit qu'on peut qualifier de visionnaire. Thésée était cette figure emblématique de cette aventure qui l'a conduit à affronter avec succès le Minotaure qui était un monstre issu d'un amour contre nature que Dédale avait pris le soin d'enfermer dans son fameux labyrinthe.

Un tel récit décrit parfaitement les péripéties du bateau de Thésée dont toutes les parties étaient remplacées progressivement jusqu'au moment où le bateau ne contenait plus aucune de ses parties d'origine. La question qui se posait alors est celle de savoir s'il s'agissait toujours du même bateau ou d'un bateau totalement différent.

Ainsi le bateau de Thésée illustre en quelque sorte un problème philosophique encore plus général qui consisterait à dire jusqu'à quel point peut-on considérer un "objet" quelconque dont tous les composants sont remplacés par d'autres comme étant toujours le même objet ?

Autrement dit peut-on considérer que :

- Le changement de matière impliquerait-il forcément un changement d'identité?

- Que la conservation de l'identité ne serait-elle pas uniquement le propre de la forme?

- Que l'identité n'est dans l'absolu qu'une affaire qui relève uniquement de l'idée (du bateau).

Thomas Hobbes est allé encore plus loin en se demandant même si on avait gardé les planches initiales du bateau et qu'avec, on en avait reconstruit un autre, lequel des deux bateaux serait le vrai?

La logique voudrait que le bateau de Thésée n'aurait pu rester identique à lui-même et témoin de l'aventure de Thésée que s'il était resté à quai et constamment entretenu jusqu'à même assister à la disparition de sa dernière pièce d'origine.

Bref, comme vous l'aurez remarqué, le bateau de Thésée soulève un problème philosophique qui pourrait trouver une réponse dans l'intervalle qui sépare la philosophie de la permanence de l'être que Parménide a résumé par sa fameuse maxime :" l'être est, le non-être n'est pas " et la philosophie du devenir qu'Héraclite a résumé par sa maxime :" On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve".

En ce qui me concerne je pourrais même dire que la problématique du bateau de Thésée n'est in fine que la conjonction des deux philosophies du devenir et de la permanence à savoir un devenir dans la permanence.

Par contre si l'on considère que l'identité est ce qui demeure identique à soi, alors dans un tel cas ce serait plutôt le monde de la permanence qui conviendrait le mieux à savoir celui que Platon appellait le monde des Idées et non de celui de la manifestation où tout est assujetti au devenir et au perpétuel changement .

Pour le philosophe de la phénoménologie Edmund Husserl, l'identité dont il est question ici est un invariant qui relève donc du domaine de l'être qui est à la fois transcendant et immanent à toute considération matérialiste qui relève quant à elle du monde des étants.

Le corrolaire que l'on peut tirer d'une telle expérience de la pensée du bateau de Thésée est que l'identité qu'on nous agite à longueur de journée n'est que l'ombre sensible d'une identité purement lumineuse et intelligible.

Ainsi, l'identité que soulèvent les populistes de tout bord n'est en réalité que le reflet de l'ignorance que leurs renvoie ce miroir qui a pour fonction de faire ressurgir les égos, de les amplifier et de sublimer leur côté narcissique.

Se regarder dans un miroir pour accentuer son propre nombrilisme est une chose, le traverser à l'instar d'Alice au pays des merveilles en est une autre pour qui cherche à saisir la véritable identité qui relève d'un universel intimement corrélé à la notion de l'être immanent à tout un chacun.

A mon sens, seule la mathématique a eu l'art et la manière de définir la notion de l'identité par le biais de la fonction linéaire où l'image de tout être n'est que l'être lui-même. Autrement dit, à tout instant l'image d'une entité coïncide avec son antécedent en constituant une véritable linéarité.

Autrement dit, seul l'homme qui poursuit sa quête de la conscience marche sur la trace de sa propre identité. De même qu'on peut dire que seul l'homme devenu conscient et libre par la possession de lui-même peut enfin prétendre atteindre la cime de son être.

Quant à l'homme Minotaure qui reste esclave de ses pulsions et des maux de la société moderne et qui a opté délibérément ou pas pour la voie de la facilité en tournant le dos à la philosophie et à la sagesse qu'elle prodigue, il va rester prisonnier dans le monde des apparences .

Cet homme Minotaure aura choisi d'adosser tout au long de sa vie des identités à géométries variables que le monde du consumérisme lui a taillé sur mesure afin de l'égarer perpétuellement dans le labyrinthe construit par Dédale qui nous rappelle ce monde qu'Amin Malouf qualifie d'identités meurtrières.

Loin de toute spiritualité, il restera figé dans l'ignorance loin de tout ce qui relève de l'esprit et donc de l'idéal. Naufragé, il ne pourra plus espérer remonter à nouveau sur le bateau de Thésée.

Les yeux rivés sur les planches du navire, passant son temps à les inspecter une à une afin de savoir parmi lesquelles témoignent de la première construction, il continuera à vivre dans la nostalgie et occultera ainsi l'essentiel à savoir l'idée même du bateau.

Pendant qu'il inspecte les planches, il ne se rend pas compte qu'il est entrain d'immobiliser le bateau sur le quai le transformant ainsi en musée au lieu de le laisser se mouvoir entre les creux et les cimes de ces vagues qui lui donnent vie et qui lui permettent d'accomplir sa mission première, celle de l'éternel voyage.

Au lieu de lutter contre le Minotaure, cet homme profané a préféré céder aux chant des sirènes qui font l'éloge de l'amour contre nature. Il a ainsi tourné le dos à la voie intelligible de Thésée et aussi à celle d'Aristote qui avait décrété que désormais seul l'Intellect est l'identité par excellence de l'homme.

PS: Pour élargir le champ du débat je pose ces questions supplémentaires :

1- Que serait ce bateau de Thésée sans les rameurs et quelles étaient d'aillleurs leurs identités respectives ?

2- Les planches du bateau venaient elles de la même famille d'arbres ou d'arbres différents ?

3- Sans l'intervention de la Nature par le biais des quatre éléments, ce bateau aurait-il pu remplir sa fonction ?