Le professeur a failli être un prophète !!!

24/03/2021

Nous sommes à la veille de la rentrée scolaire au Maroc et il est tout à fait légitime de notre part de nous interroger à propos de l'Education que prodigue notre école publique ou privée aux enfants de notre pays.

Tout le monde serait unanime pour reconnaître que l'Education est la clé de voûte, le socle même sur lequel s'érige l'édifice d'une nation. Tout le monde serait d'accord pour faire le constat d'une école qui est chez nous en pleine déroute tellement elle produit autant d'échecs.

Pour avoir fréquenté l'ecole marocaine jusqu'en classe de terminale, pour avoir poursuivi mes études supérieures à l'étranger et pour avoir exercé le métier d'enseignant pendant 34 ans je pense avoir une certaine légitimité de fournir quelques idées sur les raisons de son flagrant échec.

Je pense que les failles de notre école sont tout d'abord d'ordre pédagogiques pour la simple raison qu'elle a tendance à occulter toutes les étapes nécessaires aux apprentissages fondamentaux.

Ainsi dès son jeune âge, l'élève reçoit des cours magistraux prodigués de façon théoriques et abstraites et ce au détriment du bon sens à savoir toutes ces étapes préliminaires que constituent des notions comme l'observation et la conjecture.

A vrai dire, je pense que notre école est l'héritière des madrasas coraniques qui centrent leurs enseignements sur l'apprentissage par coeur des versets sans pour autant laisser place ni à la réflexion ni à l'analyse ni à la critique ni à l'herméneutique ni même à l'historicité du texte révélé.

Bref, il s'agit là d'un apprentissage totalement autoritaire et approximatif pour ne pas dire chaotique dont le but est de reproduire tel un perroquet ce qu' on a entendu et ce qu' on a appris par coeur.

Ainsi des mots comme comprendre, analyser, conjecturer, déduire, induire ont cédé place à d'autres comme réciter et apprendre bêtement des règles et des lois préétablies occultant ainsi toutes velléités au doute alors que le doute mènerait à la certitude d'après le théologien et soufie Al Ghazali.

Apprendre et réciter sont devenus depuis jadis le leitmotiv d'un enseignement complètement sclérosé.

Même l'enseignement scientifique n'a pas échappé à cette règle. Ainsi on apprend aux élèves la physique et la chimie sans même avoir accès à l'expérience dans les laboratoires alors que de telles sciences restent inhérentes à l'empirisme c'est à dire à l'expérience et à la conjecture.

Il en est de même pour l'enseignement des mathématiques qui a depuis toujours été centré uniquement sur la démonstration des théorèmes avant de se cantonner par la suite à l'application pure et simple des Lois devenues admises.

Comment peut-on alors concevoir enseigner la science sans même passer par des activités qui éveillent l'élève à l'observation et par la suite à la conjecture le menant ainsi au stade final quu est celui de l'abstraction.

Tout se passe pour l'élève comme s'il était à l'Academie de Platon où seul le monde des Idées et des Formes compte. Comment ose-t-on espérer faire atteindre le monde intelligible à un enfant sans qu'il ne soit au préalable passé par l'observation du monde sensible qui était cher au philosophe Aristote.?

Oui notre école doit s'inspirer d'abord de la théorie de la connaissance expérimentale qui était de mise au Lycée d'Aristote avant de prétendre atteindre le formalisme et l'abstraction qui étaient de mise dans l'Académie de Platon.

Les travers d'un tel enseignement ont fini par ressurgir finalement sur notre façon de nous comporter dans la cité et sur notre manière d'appréhender le monde physique et même le monde métaphysique. Comment pouvons nous prétendre discourir sur des sujets qui relèvent de l'anthologie alors même que nous ignorons tous les tenants et aboutissants du monde physique ?

C'est ainsi que dans notre société on trouve beaucoup de gens qui osent par exemple parler de dieu entité qu'ils pensent parfaitement connaître à partir de versets qui sont des sortes de Lois révélées sans qu' ils aient au préalable exercé une réelle herméneutique qui reste intimement liée à l'exercice de la raison.

Les méfaits d'un tel enseignement médiocre se ressentent dans toutes les strates de notre société. Un tel enseignement néfaste a fini par cloisonner et coloniser les esprits en n'y injectant que du dogme qu'il soit d'ordre profane ou d'ordre religieux.

Aujourd'hui je saisis la portée de cette maxime que j'ai apprise sur les bancs de l'école, maxime qui disait " كاد المعلم أن يكون رسولا"

qu' on peut traduire par :" Le professeur a failli être un prophète ".

Effectivement, je pourrais même dire que le professeur a tendance à se comporter tel un prophète car par son enseignement magistral et orienté, il ne fait que révéler ses propres vérités sans laisser à son auditoire aucune possibilité de construire et d'élaborer un savoir et in fine une connaissance.

Oui par cet enseignement vertical, l'enseignant non seulement il assainit des vérités premières mais en plus de celà il convertit l'élève à une sorte d'être passif, une sorte de récipient dans lequel il devérse ses propres opinions et ses propres approximations.

Or il n'a jamais été demandé au professeur de se comporter tel un prophète. Bien au contraire, l'enseignant doit être un catalyseur qui permet à l'élève de réagir et de cheminer de ses propres moyens du stade des prémisses au stade de la déduction en passant bien sûr par le stade de la proposition.

Alors que même les prophètes étaient assujettis au doute, le professeur-prophète ne laisse quant à lui point de place à ce doute parmi son auditoire car pour lui les choses sont ainsi faites : une loi qui a été dictée et qui a acquis ce statut de transcendance doit être uniquement apprise telle qu'elle et ne doit en aucun cas faire l'objet d'un quelconque commentaire.

En guise de conclusion, je peux dire que je ne m'étonne plus quand je vois cette dérive qu'a prise notre société en termes d'incivilité, d'égoïsme et de malhonnêteté car in fine elle n'est que le fruit d'une démission d'une école devenue délétère.

En disant cela, je ne veux pas incriminer les enseignants qui ne sont in fine que le fruit de la même école qu'ils ont côtoyé auparavant.

Vous allez me dire à qui profite le crime, à qui profite cet enseignement qui a montré ses limites et qui a été destiné à reproduire les classes sociales et asservir le peuple ?

Par un tel enseignement, non seulement on a fini par asservir le peuple mais en plus de cela on a réussi à ancrer en lui la servitude volontaire dont parlait si bien la Boétie.

Lorsque je lis la théorie de la connaissance de Socrate qui préconisait que pour atteindre la connaissance, il fallait d'abord passer par l'Amour ensuite par la Conscience, ensuite par la Science, je me pose la question de savoir où peut situer notre peuple dans une telle hiérarchisation et dans une telle élévation sur le chemin de l'acquisition des libertés.

Si pour ce philosophe, apprendre c'est se souvenir alors qu'attendons-nous pour nous souvenir de cette école grecque péripatéticienne où l'enseignant marchait au côté de ses disciples dans le même sens, où l'esprit était immanent à la matière et où la philosophie au sens sagesse était la clé de voûte de la cité.

Si notre école tient à sortir de sa torpeur alors elle doit faire sienne ces principes du philosophe Pythagore qui ont fait la grandeur de son école à savoir :

- Il y'a un principe qui crée l'ordre, la lumière et l'homme.

- Il y'a un principe qui crée le chaos, les ténèbres.

Si notre école tient à sortir du labyrinthe qu'elle a engendré, alors j'invite nos professeurs à réfléchir sur cette maxime de Pythagore :

" Qui parle sème et qui écoute récolte "

Si notre école tient à remplir sa vraie mission alors j'inviterai nos décideurs à méditer sur cette parole de Pythagore :

" Il vaut mieux se faire aimer que se faire craindre ".