L'herméneutique à la lumière de la Sourate Joseph

13/05/2021

I- Les limites de la fraternité

La sourate Joseph commence par l'énigme des trois lettres séparées ALIF - LAM - RA connues aussi sous le nom des lettres de lumière et que cette sourate désigne par des signes ou des versets du « Livre explicite ». Au verset 3, cette sourate nous annonce que nous allons nous retrouver face à l'un des plus beaux récits dont nous n'avions jamais eu connaissance auparavant. Un tel récit raconte le rêve que Joseph a fait et où il aurait vu onze planètes plus le soleil et la lune qui se prosternaient devant lui.

A l'annonce de ce rêve, le père de Joseph est pris de panique demandant à son fils de ne surtout pas dévoiler le dévoiler cette vision à ses frères de peur qu'ils n'organisent contre lui un quelconque complot. Pour le père de Joseph, il est certain que ce rêve témoigne de la place qu'occupe son fils auprès du divin qui a choisi de lui donner comme don l'herméneutique (Ta'wil) à savoir la possibilité de connaitre le sens premier des choses.

Il est à noter que l'amour excessif que portait le père à son fils Joseph suscitait énormément de jalousie chez les frères de ce dernier qui avaient déjà projeté l'idée de s'en débarrasser pour regagner une place privilégiée auprès de leur père. Nous voilà encore une fois de plus devant ces causes qui produisent les mêmes effets à savoir l'ignorance, l'ambition et le fanatisme qui ont toujours été un fléau pour l'humanité.

Ainsi et pour avoir eu comme don cette dimension d'herméneutique, Joseph a donc été jalousé par ses frères qui n'ont pas hésité un seul instant à le précipiter dans les profondeurs invisibles d'un puits. Voilà donc comment Joseph homme de connaissance a pu se retrouver jeté dans les basfonds puis exilé avant d'être enfin vendu à vil prix à un commerçant égyptien une fois qu'il avait été récupéré dans un seau d'eau par des caravaniers qui voulaient apaiser leur soif.

Cette expérience du puits de Joseph n'est pas sans nous rappeler la descente aux enfers qu'a opéré Orphée dans l'espoir d'arracher sa bien-aimée Eurydice des mains de l'Hadès, cette déesse de la mort. C'est bien cette expérience qui témoigne d'une grande résilience et d'une patience hors norme qui a conduit le divin à décrété Joseph mature pour recevoir la clé de l'herméneutique qu'aucun d'autre prophète n'a reçu auparavant dans l'histoire de la révélation.

II- La Clé de l'herméneutique

C'est bien cette clé de l'herméneutique dont il s'agit ici et qui a permis à Joseph de connaitre le sens premier des choses et d'accomplir ce pèlerinage nécessaire à l'âme à la rencontre de son archétype nommé ange personnel dans le langage d'Avicenne. (Voir verset 21)

Autrement dit, c'est en affrontant les épreuves et en arpentant les chemins non battus que l'homme acquière in fine la possibilité de s'élever au rang du monde intermédiaire, celui-là même qu'Henry Corbin appelle le Mundus Imaginalis ou monde imaginal où le sensible devient intelligible et où l'intelligible devient sensible.

C'est par l'intermédiaire d'une telle épreuve que Joseph (Yusuf) a pu accéder au monde du symbole qui se trouve comme interface entre le monde des opinions et celui des idées, entre le monde de la doxa et celui de l'alètheia. C'est grâce à cette clé de l'herméneutique que Joseph a pu relier le Nadir au Zénith, l'Occident à l'Orient, le Septentrion au Midi, l'exotérique à l'ésotérique et de rejoindre enfin le Saint des Saints par une sorte d'illumination (ISHRAK) digne de celle du théosophe des pures lumières Shihâbo Dîn Sohrawardi.

Ce récit de Joseph s'apparente donc à un exil qui s'opère de la matérialité de l'occident vers les lumières d'un orient spirituel. C'est un récit qui traduit un voyage vers la Fitra et vers l'Imago Mundi (l'image du monde) qui fonde notre être profond et qui est l'objectif ultime de toute véritable initiation intérieure. Rejoindre ainsi sa propre FITRA c'est en réalité rejoindre celles des autres car la FITRA n'est que l'identité universelle.

Autrement dit, se connecter par l'initiation interne à soi-même c'est devenir un maillon de la chaîne universelle et intemporelle, c'est connecter sa propre âme à l'âme du monde chère aux philosophes Aristote et Plotin.

A ce propos, Henri Corbin nous dit : « Plus une monade intègre de perceptions et de représentations de l'univers, plus elle déploie sa perfection propre et se différentie de chaque autre. Ainsi la maturité spirituelle de Joseph s'est distinguée par sa capacité à configurer son propre symbole à partir de l'expérience du puits. Maturité que le commun des mortels ne peut réaliser, lui qui n'arrive pas à se libérer de l'étau du monde de l'opinion.

En érigeant l'expérience du puits en symbole, Joseph a rendu une telle expérience éternelle et inépuisable car le symbole a cette puissance d'inviter incessamment le cherchant à de nouveaux dépassements. Un tel puits devenu symbole a donc ouvert tout un champ propice à la spéculation, puits que l'on peut aussi assimiler à un puits de potentiel où l'électron en perpétuelle agitation tente à sa manière de gravir des niveaux d'énergies par des sauts de potentiel.

Quand nous venons à la vie nous sortons en quelques sortes d'un puits. Lorsque nous décidons de mener une quête spirituelle à la recherche de notre archétype, nous remontons à nouveau ce même puits. Cet aller et ce retour, cette composition de ces deux fonctions réciproques est ce que les mathématiques nomment l'identité. Identité autour de laquelle ces deux mêmes fonctions restent symétriques et donc superposables confirmant la thèse d'Héraclite selon laquelle « la route montante et descendante, une et même ».

A la lumière de l'expérience du puits qu'a vécu Joseph dans son rêve et qui s'apparente à la descente aux enfers, on ne peut que rester dubitatif sur le sens à donner à l'Orient spirituel car d'après Avicenne, l'authentique Orient est celui qui oriente l'âme pour la sortir de ses retranchements pour aller quérir son archétype dans un monde transcendant. Ainsi, l'Orient spirituel auquel aspire tous les initiés n'est in fine qu'une descente en soi-même à la recherche de soi-même, une sorte d'introspection sous l'égide du fil à plomb.

Par conséquent, nous pouvons concevoir que ce voyage spirituel accompli par Joseph n'est en fin de compte qu'une sorte d'exil qui l'a amené de « la GHORBA (étrangeté) de l'occident » à l'Orient spirituel où il a pu trouver son identité première. Muni de la clé de l'herméneutique, il a pu donc ouvrir la porte de la crypte cosmique qui sépare les hypocrites des véridiques, porte à propos de laquelle le verset 13 de la sourate le fer dit : « porte dont la face cachée contient la miséricorde et dont la face apparente a devant elle le châtiment ».

Ce voyage de Joseph s'inscrit parfaitement dans la lignée de la philosophie de Sohrawardi qui a dit dans « RISSALAT AL ABRAJ, Epître des Tours) « L'idée du retour implique une présence antérieure, une préexistence dan la patrie d'origine, car malheur à toi si par patrie tu entends Damas, Bagdad ou quelques cités de ce monde ».

Ainsi la seule patrie qui vaille pour ce théosophe de l'illumination est la patrie du royaume céleste qui transcende à la fois les deux occidents terrestre et céleste, royaume céleste qui est la source originelle de l'éthique et de l'esthétique, royaume qui dénote totalement avec ce que l'homme appelle la patrie qui elle reste corrélée à des parcelles géographiques dessinées à l'encre du sang humain et source de conflits interminables.

En descendant au fond du puits, Joseph a donc symboliquement traversé le cosmos formé par s deux occidents terrestre et céleste. Ce n'est qu'après avoir reçu la clé du ta'wil qu'il a pu percer la crypte du cosmos pour se retrouver enfin libre des chaines que symbolisent ces deux occidents. Cette liberté retrouvée qui traduit le passage du concave au convexe indique le commencement de ce qu'Avicenne nomme le Royaume des Lumières et que le texte coranique nomme « Lumière sur Lumière ».

Ce récit exceptionnel de Joseph invite tout un chacun à prendre conscience de son perpétuel exil et à y mettre fin par l'accès à l'inné « la fitra » que le coran qualifie de religion naturelle et de droiture au verset 30 de la sourate les Romains où il est dit : « Oriente exclusivement ton être vers la religion, celle que le divin a inscrit dans toute l'humanité ; pas de changement à la création (fitra) du divin. Voilà la Religion de Droiture (religion d'Equerre), mais la plupart des gens ne savent pas ».

Ce récit nous montre aussi que ce n'est qu'une fois que l'âme de Joseph s'est éveillée à l'idée de l'exil en comprenant qu'elle était effectivement étrangère à ce monde ci-bas que la question du guide s'est posée et que Joseph a pu avoir accès à la gnose (AL IRFAN) symbolisée par la clé de l'herméneutique, clé qui a cette puissance de dépasser les servitudes littérales et les conformismes relatifs à la révélation et à la religion positive nommée en arabe (TANZIL) pour atteindre par la suite le TA'WIL qui est une sorte d'exégèse spirituelle intérieure.

Cette exégèse spirituelle est une sorte d'exode qui dépasse le sens commun de la métaphore (AL MAJAZ) pour aller quérir le sens primordial (AL HAQIQA) qui n'est autre que la Parole Perdue pour certains. Ainsi l'herméneutique devient la voie par excellence (TARIQA) qui conduit de la métaphore (CHARIA) à la Vérité (AL HAQIQA), voie qui n'est autre que celle qu'emprunte le soufi dans sa quête spirituelle.

Autrement dit, l'herméneutique ramène le tracé de la lettre vers son origine à savoir le point initial qui se trouve dans la lettre B (Ba) par laquelle commence le seau même de Salomon à savoir (BISMI ALLAHI ARRAHMANI ARRAHIM). Seau que l'on peut interpréter par « Au Nom de Dieu le Miséricordieux, le Très Miséricordieux », Seau qui ouvre cent treize sourates sur les cent quatorze que renferme le corpus coranique, Seau qui se trouve dédoublé dans la sourate les Fourmis.

A la lumière de ce qui a été dit, on peut avancer que l'herméneutique est la voie par excellence qui permet de chercher l'idée derrière le symbole. Un symbole qui n'est surtout pas le fruit d'un artifice ou d'une posture mais plutôt l'unique expression du symbolisé. Un symbole qui trouve donc son ancrage dans le monde intermédiaire et qui comme le dit Henry Corbin « un symbole qui éclot spontanément dans l'âme humaine pour annoncer quelque chose qui ne peut être exprimé autrement ».

Bref, le symbole dont il s'agit ici est dans une relation bijective avec le symbolisé. Une telle bijection rend caduque toute velléité au nihilisme et montre encore une fois de plus que la Vérité ne peut être qu'UNE et Indivisible. C'est de ce symbole dont il s'agit d'ailleurs dans le texte coranique où il est nommé « AYA : signe » ou « verset » comme le stipule le verset 53 de la sourate « des Versets Détaillés » (FUSSILAT) : « Nous leur montreront nos signes dans l'univers et en eux-mêmes jusqu'il leur devienne évident que c'est cela la Vérité ».

Ainsi, les symboles ont donc ce pouvoir de nous permettre de remonter du monde sensible au monde des idées cher à Platon, puis au monde de LA VERITE UNIQUE. En disant cela, je pense à ce parallèle que l'on peut faire avec la cosmogonie de Pythagore composée par la dyade qui n'est que le monde du multiple et des opposés, du nombre qui est le monde intermédiaire qui est l'équivalent du monde des idées chez Platon et enfin de l'UN ou Monade qui transcende tout.

Par conséquent le symbole reste intimement lié à son archétype et tous les deux restent dans une relation d'hypostase à hypostase. Autrement dit on peut dire que le symbole est au symbolisé ce que le mot substitué est au mot sacré dans l'ordre maçonnique. Ils sont tous les deux dans une relation bijective contrairement à l'allégorie qui elle est dans une relation injective au sens mathématique du terme tellement elle foisonne de sens différents du fait de son caractère figuratif plus ou moins artificiel.

Si Joseph a eu accès à la clé de l'herméneutique qui ouvre sur la Vérité c'est parce qu'il a pu réaliser au préalable l'herméneutique de sa propre âme en la connectant avec l'hypostase qui la précède à savoir l'intellect Agent. Sans cette connexion à la chaîne de la hiérarchie des antécédents que René Guénon nomme les états multiples de l'Etre aucune herméneutique digne de ce nom ne peut donc être envisageable.

Ceci étant dit, il faut dire que l'herméneutique concerne plusieurs domaines et plusieurs disciplines :

1- L'herméneutique dans le domaine philosophique :

Ainsi, lorsque Héraclite nous expose sa théorie de l'éternel retour à travers le cycle de la condensation et de la raréfaction des quatre éléments, il ne fait que relater à sa manière une certaine herméneutique où l'élément terre trouve son antécédent dans l'élément eau qui lui-même trouve son antécédent dans l'élément air et qui lui-même trouve son antécédent dans l'élément feu.

Lorsque Plotin nous expose sa théorie de l'Emanation à travers la procession et la conversion, il ne fait que décrire à sa manière une sorte d'herméneutique où l'âme individuelle cherche à rejoindre son antécédent qui est l'Âme du Monde, où l'Âme du monde cherche à rejoindre son antécédent qui est l'Intellect et enfin où l'Intellect cherche à rejoindre son antécédent qui est l'UN.

Lorsque Pythagore annonce que « Tout est nombre », il veut tout simplement nous dire que l'univers est intelligible à savoir qu'il porte en lui en immanence le nombre qui est une sorte d'intellect qui s'intercale entre le monde physique qui est la Dyade et le monde métaphysique qui est la Monade ou l'UN. Un tel nombre n'est pas sans nous rappeler la fameuse Tétraktys que ce philosophe érige en sacré et dont l'équivalent n'est autre que le Daemon chez Socrate ou la Moira chez Aristote.

2- L'herméneutique dans le domaine maçonnique :

Lorsque l'initié évoque « cette chaîne qui nous vient du passé et qui tend vers l'avenir », il l'évoque dans l'espoir de s'y inscrire en tant que maillon et exercer ainsi ce devoir de mémoire qu'il pourra transformer par la suite en un héritage conscientisé. Car comment peut-il espérer impacter l'avenir si l'initié n'a pas pris conscience de cet héritage qui le fonde ?

Ainsi, le Temple maçonnique qui est une sorte d'athanor où s'opère la transmutation des métaux en vue d'atteindre l'élixir, la pierre philosophale ou l'androgénie, n'est que ce monde médian où le sensible est devenu intelligible et où l'intelligible s'est imaginalisé. Monde médian peuplé de symboles qui ne cherchent qu'à livrer leurs secrets à savoir les idées dont ils sont porteurs, idées qui ne sont que les éclats d'une vérité diffractée, idées qu'il va falloir faut relier elles pour reconstituer à nouveau la vérité.

Pour Henry Corbin, le Temple maçonnique n'est que le temple intérieur de l'initié et sa propre âme qui ne cherche qu'à intérioriser le cosmos pour accomplir son individuation où le Soi n'est que l'archétype par excellence du « moi » et du « je ».

Ce monde médian qu'est le Temple maçonnique est celui que l'alchimiste Geber « Jabir Ibn Hayyan » - qui était le disciple de Jafar Assadik le sixième Imam du chiisme des Septaines - nommait la science de la balance, science qui mesure la capacité de l'esprit à pénétrer la matière. Autrement dit, la science de la balance n'est que le Mundus Imaginalis où la matière s'est spiritualisée.

Le temple maçonnique en intégrant le cosmos en son sein montre la voie à suivre par l'initié franc-maçon qui doit à son tour intérioriser ce même cosmos au sein de sa propre âme en vue de s'en servir comme symbole susceptible de lui délivrer le mystère du Grand Architecte de l'Univers. Autrement dit, la voie que propose la franc-maçonnerie à ses adeptes n'est en réalité que la voie de l'herméneutique de l'âme qui consiste à rattacher celle-ci à sa dimension intellective à savoir l'Esprit qu'Anaxagore nomme « le Noùs » afin de remonter les différentes stations qui conduisent in fine au plérôme des lumières.

Sans prendre conscience que le temple maçonnique n'est que le temple intérieur c'est à dire l'âme. Sans réaliser l'herméneutique de cette même âme en la raccrochant à son archétype, aucune herméneutique n'est envisageable et aucune initiation ne peut être alors effective.

Réunir ce qui est épars n'est en réalité pour le franc-maçon que l'acte d'intérioriser le cosmos en soi pour en faire un avec le Tout. Réunir ce qui est épars, c'est faire sienne la philosophie hermétique dont l'objectif est de prendre conscience de cette analogie, de cette correspondance et de cette similitude qui existe entre ce qui est en bas et ce qui est en haut.

Ainsi, le franc-maçon est appelé à être à la fois un alchimiste, un hermétiste, un géomètre et un théosophe dans la mesure où il est sensé atteindre la sagesse divine (Al Hikma Al Ilahiyya), celle qui préside à la construction même de son propre temple intérieur.

Lorsque Platon a inscrit sa fameuse maxime sur le fronton de l'Académie à savoir : « Nul n'entre ici s'il n'est géomètre », il voulait mettre en garde ces pseudos-initiés face à leurs responsabilités eux qui veulent atteindre les cimes tout en végétant dans les vallées.

Malheureusement, l'Ordre maçonnique regorge de ces pseudos initiés qui restent réfractaires à tout savoir, à toutes gnose et à toute élévation digne de ce nom préférant ainsi l'édification d'un pseudo-temple qu'aucune sagesse ne préside, qu'aucune force ne soutient et qu'aucune beauté n'orne à part la beauté des décors qui servent de trompe-l'œil.

Qu'est ce que l'initiation si ce n'est le début de cette quête qui mène d'abord à intégrer en soi le cosmos ? Ce voyage d'intégration de la cosmologie en soi est celui même qu'effectue le récipiendaire lorsqu'il subit les épreuves des quatre éléments qui sont les constituants même du cosmos. Gravir toutes les stations qui vont du premier degré au trente troisième degré est une véritable herméneutique en soi car qu'est le Grade de Compagnon si ce n'est l'archétype même du Grade d'Apprenti ? Qu'est-ce que le Grade de Maitre si ce n'est l'archétype même du Grade du Compagnon et ainsi de suite jusqu'au Grade du trente troisième qui ouvre sur le plérôme du Royaume des Lumières ?

Un tel processus d'individuation et d'intégration du cosmos en soi n'est pas sans nous rappeler le positionnement du compas vis-à-vis de l'Equerre, positionnement qui confère à l'initié une élévation dans l'échelle des degrés initiatiques. Ainsi, d'une situation où l'âme est soumise au dictat de la matière, l'initié s'élève au degré où la matière et l'esprit se chevauchent avant d'arriver au degré où l'esprit prend l'ascendant sur la matière dans une certaine révolution qui nous rappelle celle que décrit Anaxagore dans sa théorie des homéomères.

La transcendance du Compas sur l'Equerre n'est en soi que la symbolisation de la transcendance de l'Esprit sur la Matière. Une telle transcendance, traduit en acte ce qu'on appelle l'individuation qui réside dans le fait de circonscrire l'épais par le subtil. Ainsi, l'initié franc-maçon qui aura réussi à inverser la situation initiale où son esprit était soumis au dictat de son corps aura réalisé la vraie conversion, celle qui consiste à l'anéantissement de l'égo et à la renaissance à la lumière. Photon, il est ainsi redevenu onde.

3- L'herméneutique dans le domaine de la théologie

L'herméneutique qu'a réalisé Joseph est en lien direct avec le livre naturel que symbolisent les planètes qui se sont mis à prosterner devant lui dans son rêve qui comme on l'a dit s'apparente à de l'imagination créatrice. En usant de ses propres composantes ontologiques à savoir la compréhension, la disposition affective et le Logos, Joseph a pu s'éveiller à sa propre conscience en intériorisant le cosmos en tant que symbole du symbolisé qui n'est autre le transcendant.

En procédant ainsi, Joseph a fait sienne ce verset 53 de la sourate FUSSILAT ô combien compatible avec la philosophie d'Husserl et de Parménide à savoir : « Nous leur montrerons Nos signes dans l'univers et en eux-mêmes, jusqu'à ce qu'il leur devienne évident qu'il est la Vérité ».

« Nous leur montrerons Nos signes dans l'univers » est un véritable appel à l'utilisation de l'intellect ilyque qui est notre première composante ontologique pour comprendre le monde manifesté et les Lois discursives qui le gouverne par.

« Et en eux-mêmes » est un appel à l'introspection qui renvoie à l'utilisation de nos deux autres composantes ontologiques à savoir la disposition affective et le Logos qui n'est autre que l'Intellect Agent.

« Jusqu'à ce qu'il devienne évident qu'il est la vérité » signifie tout simplement que la vérité ne finit par jaillir qu'une fois réalisée la conjonction de ces intellects qui composent l'âme intellective à savoir l'intellect ilyque et l'intellect Agent chers au philosophe Aristote.

Cette idée fondamentale de l'intériorisation de l'univers qui permet l'individuation a été présente chez Ali Ibn Taleb cousin et gendre du prophète Mohammad qui disait : « Te crois-tu un simple atome alors qu'en toi s'est plié le Monde plus Grand (AL ALAM AL AKBAR) ?». Une telle citation est à rapprocher avec la maxime Delphique « Connais-toi toi-même et tu connaitras l'univers et les dieux ».

Maxime qui de manière implicite suppose l'immanence de l'univers et du divin dans l'homme. Autrement dit, pour Socrate l'homme doit absolument prendre conscience que la vérité n'est plus à chercher en dehors de soi mais plutôt en soi. D'où l'importance de l'acte d'intériorisation dans tout processus de recherche de transcendance.

Il faut préciser que le Mot « AKBAR » ne veut pas dire « grand » mais plutôt « plus grand que...). Lorsque nous entendons le muézin dire « ALLAH AKBAR », en réalité il veut simplement dire au commun des mortels que : « Dieu est plus Grand que ce que vous pouvez imaginer ». Autrement dit « ALLAH AKBAR » est une invocation d'un Dieu qui est infiniment grand dont le corolaire est que toute quête et toute vérité ne peuvent être qu'asymptotiques.

Lorsque Ali dit que l'univers s'est plié en nous, il veut tout simplement nous dire que le microcosme contient en puissance le macrocosme, que l'infiniment petit renferme en puissance l'infiniment grand et que finalement l'homme a la capacité d'intégrer en lui la notion de l'infini. Intégrer la Nature en soi, intégrer le Tout en soi revient dans le panthéisme de Spinoza à intégrer Dieu. Par conséquent le fait d'intérioriser l'univers en soi permet de prendre conscience de la dimension du divin qui sommeille en soi. Autrement dit, intérioriser l'univers en soi, revient à diviniser l'homme qui est porteur d'une connaissance qu'il tient de la transcendance. C'est de cette connaissance dont il s'agit dans le verset 31 de la sourate la Génisse : « Et il a appris à Adam toute la nomenclature des choses, puis il les présenta aux Anges et dit : informez-Moi des noms de ceux-là, si vous êtes véridiques ! Ils dirent : « Gloire à Toi ! Nous n'avons de savoir que ce que Tu nous a appris. Certes c'est Toi l'Omniscient, le Sage ».

Lorsque les Mutazilites décrètent que l'Intellect doit précéder l'écrit (AL AKL KABLA AN NAKL), je pense qu'ils veulent tout simplement nous dire que le l'herméneutique de l'âme doit absolument précéder l'herméneutique du Texte Sacré. Ainsi pour ce courant rationaliste de l'islam, faire du Ta'wil de l'âme c'est permettre à celle-ci de prendre conscience de ses dimensions intellectives dont parlait jadis Aristote à savoir l'intellect ilyque et l'Intellect Agent.

Si l'intellect Ilyque ou personnel a pour vocation de s'exercer sur la phénoménologie (ADDAWAHIR) pour en dégager les Lois qui régissent la Nature, l'Intellect Agent quant à lui a pour vocation d'être le guide même qui mène le cherchant à la gnose qui a cette puissance de sortir l'homme de son exil des occidents à la fois terrestre et céleste pour le conduire au Royaume des Lumières.

D'abord s'élever à sa propre conscience en érigeant le sensible en symboles avant de connecter ces derniers à leur Essence Primordiale à l'aide de l'herméneutique, voilà la voie par excellence de toute initiation qui se respecte. Ce n'est une fois réalisés ces opérations que l'herméneutique des Rituels peut alors commencer. Ainsi, TA'WIL KABLA TANZIL prend tout son sens chez les Mutazilites dans la mesure où l'herméneutique de l'âme prend l'ascendant sur l'herméneutique du texte révélé dans le sens où elle en est un préalable.

Pour illustrer ce propos, il suffit de se référer à Hay Ibn Yakdan (le vivant fils de l'éveillé), ce livre écrit par le philosophe Ibn Tufayl qu'il a d'ailleurs repris à Avicenne. Ce livre qui a été traduit par Leibniz tellement qu'il avait estimé qu'il était riche en enseignement, décrit comment un enfant qui vivait seul dans la jungle a pu prendre conscience de l'existence de l'âme et de son archétype uniquement par l'expérience sans se référer à aucun texte dit sacré.

C'est donc uniquement par l'étude de l'apparent que cet enfant a pu rencontrer le caché à savoir cette âme de dimension doublement intellective. Ainsi et comme le stipule la philosophie empirique de John Looke, seule l'expérience peut conduire à la connaissance et donc à la vérité. Connaissance qui n'est que le fruit de la liberté de penser chez ce philosophe du XVII -ème siècle, une liberté de penser qu'il définit d'ailleurs comme étant la capacité de l'esprit humain à produire des idées qu'il va falloir par la suite ériger en principe et par conséquent en vérité. Une telle démarche dont l'objectif est d'atteindre une certaine connaissance est l'illustration par excellence de ce que nous nommons communément l'herméneutique.

Que ce soient le récit de Joseph ou ceux d'Avicenne et en l'occurrence celui de Hay Ibn Yakdan, de l'oiseau ou de Salman et Absal - qui est l'archétype de Salman - ou celui même de l'exil occidental de Sohrawardi, ils ont tous ce point commun d'être des récits visionnaires qui traduisent une sorte de nostalgie où le monde de l'alpha aspire à rejoindre celui de l'oméga, où celui des symboles aspire à rejoindre le symbolisé en empruntant la voie de l'herméneutique.

Ceci étant dit, il semble inconcevable pour un pur esprit rationnel d''envisager une telle transformation pour ne pas dire une telle transmutation qui confère à l'âme subtile cette potentialité d'intérioriser un cosmos fait que de matière ! Dans ce processus d'intériorisation du cosmos, ce n'est plus la matière qui emprisonne le subtile mais plutôt le subtile qui tente de circonscrire la matière. Autrement dit, si Parménide et Husserl ont prôné la voie de la phénoménologie pour appréhender l'être par la compréhension de l'étant, dans la quête de l'individuation, il est plutôt question d'intérioriser l'étant pour appréhender l'Être.

Dans un tel processus, l'âme par son énergie psychique arrive à transmuer le cosmos en symbole qu'elle finit par intégrer en elle, faisant de lui un monde imaginal qui intellige le sensible et qui imaginalise l'intelligible. L'âme agit donc comme un athanor où s'opère le Grand Œuvre alchimique qui a pour finalité de révéler l'idée derrière le symbole connectant ainsi l'âme à la puissance efficiente.

Dans ce rêve que décrit Joseph, la cosmologie n'est plus appréhendée comme d'habitude par les sens mais par une vision de l'âme, une sorte d'imagination créatrice qui captive et intègre instantanément l'image révélée du monde. Une telle image du monde devenue symbole et faisant partie intégrante du monde imaginale ne peut en aucun cas être perceptible par des sens qui perdent toutes leurs fonctions dans ce milieu où le sensible est devenu intelligible.

Par conséquent, il est important de souligner l'importance que revêt l'âme dans toute approche du symbole pour celui qui a l'intention de chercher l'idée qui s'y trouve cachée derrière. Et c'est à ce propos que le verset 46 de la sourate le Pèlerinage prend tout son sens : « Que ne voyagent-ils sur la terre afin d'avoir des cœurs pour comprendre et des oreilles pour entendre ? Car ce ne sont pas les yeux qui s'aveuglent mais, ce sont les cœurs dans les poitrines qui s'aveuglent ».

Ainsi, la présence de la cosmologie dans nos Temples n'est pas fortuite, elle n'est pas là pour aiguiser la curiosité mais plutôt pour inciter l'initié à faire la démarche qui s'impose afin de l'intérioriser au sein de sa propre âme. C'est en cela-même que consiste le Grand Œuvre alchimique qui a pour finalité de transmuer le sensible en une énergie purement psychique et donc subtile.

C'est d'ailleurs dans ce sens-là qu'il faut comprendre le voyage nocturne qu'a effectué le prophète Mohammad à travers la cosmologie. Lors de cette ascension (Al Mi'raj » à travers les sept cieux, le prophète Mohammad a rencontré plusieurs prophètes avant d'arriver au plérôme. Or ce voyage n'est qu'une métaphore et le fruit d'une imagination créatrice où le prophète a intériorisé en lui et le cosmos et la chaîne initiatique formée les différents maillons de la prophétie, chaîne qui lui venait du passé et qu'il avait le devoir de faire tendre vers l'avenir en la rendant juste et parfaite. « Je n'étais envoyé que pour parfaire l'éthique » disait le prophète Mohammad.

La question qui se pose aujourd'hui est de savoir si le musulman a véritablement pris conscience de l'éthique en vigueur chez tous les maillons de cette même chaîne prophétique et s'il est capable de discerner le gradient de l'éthique que le prophète de l'islam a apporté comme plu value à l'humanité ! « This is the question ! »

Un tel processus d'intériorisation du cosmos est l'objet même de ce hadith qui dit : « J'étais un trésor caché et j'ai aimé à être connu, ainsi j'ai créé le monde pour être connu ». Ainsi, ce hadith non seulement il confirme la théorie de la connaissance de Socrate dans la mesure où il fait de l'Amour la clé de voûte de toute élévation spirituelle et de tout perfectionnement intellectuel et moral mais en plus il montre que la matière pour ne pas dire le « non-être » au sens de Parménide se trouvait en gestation et en puissance dans l'Etre subtil et ineffable.

Un tel processus est repris aussi dans le texte coranique qui décrit plusieurs états de l'âme. Ainsi nous trouvons au verset 53 de la sourate Joseph : « l'âme est très incitatrice au mal ». De même nous trouvons au verset 2 de la sourate la consultation : « Mais non, je jure par l'âme qui ne cesse de se blâmer ». Enfin nous retrouvons au verset 27 de la sourate l'Aube : « Ô âme paisible, retourne à ton seigneur satisfaite et agréée ».

De l'âme incitatrice au mal, à l'âme qui ne cesse de se blâmer, à l'âme paisible figure donc la quête de celui qui aspire au retour à l'homme Primordial qu'il était auparavant auprès de son seigneur. Ce retour ne devient donc possible qu'après avoir pris conscience des marches successives pour ne pas dire des hypostases qu'il va falloir escalader une à une avant de se connecter au Principe Premier, connexion qui n'est pour autant jamais acquise pour toujours comme nous l'a expliqué le philosophe Plotin dans les Ennéades.

Dans le récit de Hay Ibn Yakdan, Hay (le vivant) n'est que le symbole de cet Intellect Agent nommé aussi l'Archange qui est le fils spirituel de Yakdan (l'éveillé). C'est cet Archange qui est une sorte de guide qui a demandé à cet enfant perdu dans la jungle : « Si tu le veux, suis-moi vers lui » pour lui signifier que s'il veut être vraiment initié qu'il emprunte la voie qu'il va lui tracer.

Ainsi, il faut rappeler que toute démarche initiatique a un préalable à savoir celui d'accepter de mourir à une vie profane antérieur pour renaître enfin à une vie spirituelle et donc sacrée. Pour cela, il est impératif de tuer son égo (fana) source de devenirs incessants pour atteindre la plénitude de la permanence (al baqa) auprès de l'Etre Suprême. « Suivre les chemins qui nous sont tracés » ne doit absolument pas se concevoir par le futur initié comme une sorte de soumission ou de déterminisme. « Suivre les chemins qui nous sont tracés » c'est accepter tout simplement de mettre son égo et sa doxa de côté pour être dans les meilleurs conditions de recevoir et d'intérioriser une Alétheia qui nous faisait défaut.

Ce n'est qu'à ce prix-là que l'initié va redevenir vivant par sa prise de conscience de l'existence de cet intellect agent (Hay) qui sommeillait en lui et qui ne demandait qu'à être réactivé et revivifier pour remplir sa mission de guide vers la Lumière Originelle.

4- L'herméneutique dans le domaine de la science :

L'herméneutique ne doit pas se limiter qu'au domaine de l'irrationnel. Bien au contraire, elle doit s'appliquer aussi aux Lois de la Nature qui ne demandent qu'à être rattachées à la connaissance. Ainsi, projeter le savoir dans le plan de la connaissance est l'idée même que soulève Rabelais lorsqu'il dit : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme » ? Car n'oublions surtout pas que la théorie de la connaissance chez Socrate est destinée aux philosophes qui ont l'intention de gravir les échelons de l'élévation en pratiquant une herméneutique dont l'objectif est de rattacher entre elles toutes les hypostases d e la théorie de la connaissance. C'est ainsi que l'Amour doit être rattaché à son archétype qui est la conscience, puis la conscience à son archétype qui est la science et enfin la science à son archétype qui est la connaissance.

A ce propos, si nous analysons par exemple les trois Lois de Kepler qui relèvent toutes d'un savoir discursif, nous allons pouvoir réussir à les relier à quelque chose qui les transcende et qui relève du monde de l'éthique. Car si en apparence de telles lois sont l'expression du mouvement, de la dynamique et donc du devenir, il n'empêche qu'elles cachent en elles la notion de statique et donc de permanence. D'où ce lien étroit entre des Lois physiques de Kepler qui relèvent du devenir de « l'étant » et les lois métaphysiques qui elles relèvent de la permanence de « l'être ».

Que disent au fait ces Lois de Johannes Kepler ?

1- La première Loi : « Les planètes décrivent une ellipse dont le soleil occupe l'un des foyers ».

2- La deuxième Loi : « Le rayon soleil-planète balaie des aires égales pendant des intervalles de temps égaux »

3- La troisième Loi : « le carré de la période de révolution est proportionnel au cube du demi grand-axe de l'orbite »

Ainsi, comme vous l'aurez constaté, dans tous les mouvements des planètes il y'a une dimension de permanence à savoir que toutes les trajectoires sont des ellipses, que l'aire balayée est la même pour toutes les planètes pour un temps donné et que le rapport du carré de la période de révolution et du cube du demi grand-axe de l'orbite est constant.

Encore une fois de plus nous pouvons dire que de la philosophie de la permanence de l'être de Parménide n'est que la projection dans le monde de l'éthique de la philosophie du devenir d'Héraclite. En analysant ainsi de près ces lois discursives de Kepler nous déduisons que derrière tout devenir et tout mouvement apparent se cache en réalité une certaine permanence qui n'est que l'archétype de la notion du devenir. Rattacher tout devenir à ce qui le transcende à savoir la permanence constitue donc en soi une authentique herméneutique.

5- Caractère cyclique de l'herméneutique

Le corollaire de tout ce qui vient d'être dit, c'est qu'il ne faut pas espérer se lancer dans une herméneutique du symbole ou d'un rituel si au préalable l'herméneutique de l'âme n'a pas été accomplie car le récepteur et l'émetteurs à eux seuls ne suffisent pas à recevoir le signal si le premier n'est pas bien orienté sur le deuxième.

Autrement dit, il est impossible de prétendre chercher une quelconque vérité ou Parole Perdue ou idée derrière le symbole si au préalable l'âme n'a pas été connectée avec ce qui la transcende à savoir l'intellect Agent (AL AKL AL FAÂL). Sans cette condition sine qua non de l'herméneutique de l'âme, le cherchant ne peut décoller du monde des apparences et des métaphores.

En réalité, il est plus judicieux de parler d'un cercle d'herméneutique que d'une herméneutique à sens unique du fait que revêt la philosophie de l'éternel retour dans l'histoire de la philosophie antique en particulier et dans la philosophie en général.

Ainsi, nous trouvons présente cette herméneutique cyclique chez Héraclite dans son cycle formé de condensation et de la raréfaction, chez Platon dans la pensée sous-jacente à la notion du roi philosophe, chez Aristote dans sa cosmologie des moteurs des différents astres, chez Plotin dans son cycle d'hypostases formé par la procession et la conversion, chez Al Fârâbî dans sa théorie des dix intellects et chez Avicenne dans sa théorie de l'angéologie.

La théorie des dix Intellects n'échappe pas à cette cyclicité d'herméneutique puisque l'objet de chacun des intellects est de remonter et de se convertir à celui qui l'a précédé dans le processus de procession. Autrement dit, chacun des intellects aspire à retrouver son véritable orient originel. Ainsi du dixième Intellect au deuxième Intellect qui forment tous une véritable échelle d'ascension, chacun de ces intellects remonte la chaine initiatique afin de rencontrer le premier Intellect qui lui servira de guide pour contempler le Royaume des Lumières.

C'est dans ce sens même qu'Avicenne nous a dit que la vraie intégrité que l'homme doit recouvrir est celle qui consiste à ce que son âme intègre son ange qui est son archétype dans le Plérôme pour reconstituer ce qu'il appelle l'intégrité duelle ou unité duelle qui est l'objet même de ce que nous appelons communément dans notre Ordre initiatique « Réunir ce qui épars ».

Un tel processus nous le trouvons aussi présent dans la philosophie de l'illumination (AL ISHRAQ) de Sohrawardi que cette phrase résume à merveille : « Saisir les choses et les rencontrer à leur Orient ».

« Mettez-vous en route ! Ne différez pas le départ ! » nous dit ce même théosophe par cette injonction afin que notre âme s'abreuve à sa source originelle à savoir cet Intellect Agent d'où elle a émané.

Une telle cyclicité de l'herméneutique nous la rencontrons aussi dans notre l'Ordre maçonnique car dès notre première entrée dans le Temple nous sommes mis en face de cet outillage à savoir le maillet et le ciseau dont l'objectif de travailler nos aspérités et de réaliser cet idéal qui consiste à gravir l'Orient avant de le quitter à nouveau pour continuer l'œuvre commencé dans ce temple et ce avant que la mort nous surprenne et que les outils nous soient tombés de la main.

De même, retrouvons aussi présent ce cycle de l'herméneutique dans différentes religions monothéistes et notamment dans la révélation coranique à travers le récit visionnaire « d'AL ISRAE WA'L MI'RAJ » ce voyage nocturne qu'a effectué le prophète de manière horizontale de la mosquée interdite à la mosquée extrême et de manière verticale de la mosquée extrême au Plérôme de la Lumière divine avant qu'il ne l'effectue ensuite dans l'autre sens pour parfaire l'éthique sur la terre.

Ce cycle est repris autrement dans le texte coranique où il est question de ALAM AL MOULK (monde sublunaire), ALAM AL MALAKOUT (monde des Images Archétypales) connu aussi sous le nom de ALAM AL MITHAL ou ALAM ILM AL MIZAN (monde de la Science de la Balance) qui n'est autre que le monde intermédiaire celui des symboles, monde où se corporalisent les esprits et où se spiritualisent les corps et enfin ALAM AL JABAROUT qui est celui de l'Orient du Plérôme Archangélique.

Cercle d'herméneutique que nous retrouvons aussi présent dans le récit du puits de la sourate de Joseph où ce dernier a pu mourir symboliquement en étant jeté dans l'obscurité pour renaître par la suite dans la lumière que lui a conféré la clé de l'herméneutique.

Cercle d'herméneutique que nous retrouvons aussi présent dans la Kabbale Juive où l'arbre des Séphiroths n'est que la répétions du Saint Nom de l'Ineffable IHWH : IOD - HE' - WAW - HE' où le HE va jouer le rôle de IOD qui va donner à son tour naissance à HE - VAV - HE et ainsi de suite jusqu'à l'obtention des dix séphiroths. Cet arbre pour ne pas dire ce cycle est à la fois une procession en allant de haut en bas et une conversion en allant du bas en haut confirmant la pensée hermétique d'Hermès le Trismégiste que traduit cette phrase : « ce qui est en bas est comme ce qui est en haut et ce qui est en haut est comme ce qui en bas » à savoir que IOD et HE' sont une et même chose.

Dans le quantique des oiseaux de Farid Dîn Attâr (1146 - 1221) nous trouvons aussi explicite la notion de l'herméneutique à travers le récit de la huppe, cet oiseau majestueux de Salomon qui sert de guide aux autres oiseaux dans ce voyage qui allait les amener à travers les sept vallées de l'Amour pour rejoindre le Simorgh. Il se trouve que la huppe a pour nom en en arabe Al Hodhod nom qui a la même racine que Hâdi et qui signifie le guide ou le Maître spirituel qui est une sorte d'intellect Agent. Ainsi comme dans toute quête qui se respecte, il y'a nécessité d'avoir un guide qui assure ce voyage du monde profane au monde sacré.

Dans ce récit, les oiseaux symbolisent les âmes humaines alors que la huppe symbolise quant à elle l'archétype de ces mêmes âmes et que le Simorgh symbolise quant à lui cet Orient des Lumières qui se trouve au-delà même de la crypte cosmique. Il est à noter que Farid Dîn Attar nommé aussi l'apothicaire ou le parfumeur faisait partie de ces poètes comme l'ismaélien Nasser Khosrow (1004 - 1088) qui condamnaient vivement cette poésie panégyrique qui s'est détournée de sa fonction première et qui n'avait d'utilité que pour flatter les égos de certains princes et gouvernants.

Ces deux poètes pour qui le poète est avant tout un guide, s'inscrivaient parfaitement dans la lignée des poètes de l'antiquité tels que Homère et Hésiode qui faisaient de leurs poésies d'inspiration divine un lien entre le ciel et la terre. Pour eux l'aède doit occuper ce monde médian qui permet à l'homme de s'élever vers le transcendant. A l'instar des Muses filles de Zeus et de Mnémosyne que relate la mythologie grecque, et à l'instar d'Hermès le Trismégiste le poète a ce devoir de servir de prophète pour accomplir l'analogie et la correspondance en le symbole et le symbolisé.

Cette poésie d'inspiration divine de Farid Din Attar n'était en réalité que le fruit d'une annihilation de l'égo et d'un détachement de tout ce qui est susceptible de voiler l'Etre Suprême. Ce poète tel l'abeille reprenait tous les clichés de la littérature profane, les butinait et les transformait en symbole tout en leurs insufflant des significations purement spirituelles. Sous sa plume tout devenait donc le symbole d'un aspect de la divinité. En cela il agissait vraiment tel un herméneute.

III- Le récit de Joseph et son ancrage dans l'antiquité

Qu'est-ce que c'est qu'un puits si ce n'est un cylindre formé de juxtaposition de cercles qui traduisent l'enchainement perpétuel de l'homme à la matérialité et ce depuis sa naissance. Matérialité qui au cours du temps s'est sédimentée rendant difficile toute possibilité de retrouver ce trésor originel que l'homme a depuis perdu qui n'est autre que cette image du monde (Imago Mundi) que certains appellent la Parole Perdue ou FITRA.

Le récit du puits de Yusuf montre à quel point la révélation coranique trouve son ancrage dans la pensée antique en général et dans celle de Démocrite en particulier pour qui « la Vérité est au fond du puits ». Une telle maxime de Démocrite s'inscrit dans la lignée de la pensée sceptique de Pyrrhon pour qui « suspendre le jugement » est une nécessité tellement la vérité reste inaccessible au commun des mortels.

Cet Exil pour ne pas dire cette descente aux enfers de Joseph est reprise par le mythe d'Orphée où Eurydice n'est que la représentation de cette vérité qui reste inatteignable pour tous. De même cet Exil d'une autre nature semble aussi être repris dans la maxime inscrite sur le fronton de Delphes à savoir « Connais-toi toi-même et tu connaitras l'Univers et les dieux ».

Mais qui dit exil dit forcément existence de cette dualité qu'impose cet espace métrique qui sépare ces deux extrêmes et qui appelle forcément au voyage. Il suffit en cela de visiter la gnose alchimique et hermétique pour s'en apercevoir. Réaliser le Grand Œuvre, c'est réaliser la transmutation du plomb en or, c'est transformer la Pierre Brute en Pierre Taillée (pierre philosophale), c'est transformer les plantes en élixir, c'est transformer en Androgénie le couple (male - femelle), c'est réaliser la similitude et l'analogie entre ce qui est en haut et ce qui est en bas afin d'accomplir le mystère d'une même chose.

Réaliser le Grand Œuvre revient aussi à comparer SALMAN et ABASAL dont nous parle le récit visionnaire d'Avicenne. Réaliser le Grand Œuvre, c'est mesurer enfin l'écart qui sépare ces frères antagonistes que sont Prométhée et Epiméthée et évaluer ainsi la différence qui existe entre celui qui pense d'abord avant d'agir et celui qui ne réfléchit qu'après avoir agi.

Il est donc indispensable pour l'homme de retrouver son « SOI » qui est la contrepartie de son « moi » afin de recouvrir sa complétude. Il suffit en cela de se référer à l'enseignement que nous prodigue ce verset 3 de la sourate le FER qui dit : « Il est le Premier et le Dernier, l'Apparent et le Caché » pour mesurer l'importance de toute dualité dans la réalisation de l'unité. Ainsi et à mon sens « Réunir ce qui est épars », ce n'est pas autre chose que réaliser la conjonction des opposés dont nous parlait si bien Héraclite, ce philosophe qui résume parfaitement la proposition : « De la dualité à l'Unité ».

Réunir ce qui est épars a été aussi l'œuvre du prophète Mohammad qui a voulu concilier l'horizontal et la verticale dans son voyage nocturne qui l'a conduit horizontalement de la mosquée interdite à la mosquée extrême avant de vivre cette ascension verticale à travers les sept cieux. Ascension qui symbolise la volonté de son âme à rejoindre son Archétype qui n'est autre que ce que Aristote et Al Fârâbî appelaient l'Intellect Agent qui ouvre la voie au Royaume des Lumières. Il est à noter que c'est de ce même Intellect Agent dont il s'agit dans la Trinité Catholique, Intellect Agent qui s'apparente au Saint Esprit qui relie le ciel et la terre, le Père -Dieu au Fils Jésus Christ que la paix soit sur lui.

Ce Récit de Joseph est donc un hymne à la rencontre avec sa propre conscience individuelle, à l'individuation à travers une quête initiatique qui tourne le dos à la conscience commune et à la notion de tribalité. Pour atteindre le degré de l'herméneutique, Joseph a dû quitter son carcan familiale sujet à la discorde et aux émotions source de conflit. Seul loin des siens, Joseph a affronté ses propres démons pour recouvrir sa liberté au sens du philosophe Bergson pour qui « agir librement, c'est prendre possession de soi »

S'éveiller à Soi au sens de Joseph passe nécessairement par l'abandon de sa propre communauté afin de recouvrir sa propre conscience, car in fine les exigences des uns et des autres ne sont pas les mêmes. L'Exil du prophète Mohammad va dans le même sens que celui de Joseph dans la mesure où Al HIJRA ANNABIOUIYYA (l'exil prophétique) n'est que la volonté de ce dernier de tourner le dos au tribalisme des Quraychites et à l'homogénéité à tous points de vue qui caractérisait la Mecque Mère des villages (Makka Oum Al Koura) pour aller s'accomplir dans la ville de Médine où l'hétérogénéité était de mise d'après le texte Coranique, hétérogénéité symbolisé par la présence sur place de ces trois tribus juives, de ces deux tribus païennes (AL AWS WA AL KHAZRAJ) ainsi que des compagnons du prophète nommés (AL ANSAR WAL MOUHAJIRÎNE). C'est d'ailleurs à Médine que le prophète Mohammed a scellé le pacte dit de Médine, un pacte qui prônait l'universalité et la notion de la communauté humaine (AL OUMMA).

Un tel Récit soulève donc une question ô combien fondamentale à savoir s'il est vraiment envisageable de concevoir une initiation dans une collectivité homogène qu'elle soit initiatique ou pas ! Autrement dit, est-ce que l'homogénéité peut-elle un gage de l'individuation ? « Nous avons fait de vous des nations et des tribus pour que vous vous entreconnaissiez » dit le verset 13 de la sourate les Appartements (AL HOUJOURAT). Verset qui fait donc de l'hétérogénéité une condition de la connaissance (Irfane ou Ma'rifa).

Le récit de Joseph traduit donc la rencontre de ce dernier avec « lui-même » par l'éveil de la conscience à l'idée de l'exil de l'âme vers le Plérome qui est la Patrie Originelle, guidé en cela par l'Intellect Agent qui transcende le cosmos et qui est nommé par Hermès le Trismégiste, le Poimandrès.

De gnose en gnose, de résurrection en résurrection, les cercles qui constituent ce puits se succèdent à l'infini formant ainsi un tunnel qui symbolise ce monde intermédiaire qui relie l'occident terrestre au Royaume des Lumières. Tunnel qui nous rappelle ce que la physique appelle l'effet tunnel qui désigne la propriété que possède un objet quantique de franchir une barrière de potentiel même si son énergie est inférieure à l'énergie minimale requise pour franchir cette barrière.

Pour Joseph, c'est la clé de l'herméneutique qui lui a permis d'avoir l'énergie suffisante pour franchir cette barrière de potentiel que constituait l'épreuve du puits et de faire échec aux mauvais compagnons que symbolisaient ces propres frères épris de jalousie à son égard.

Ainsi et avant même la théorie de la physique quantique, nous pouvons considérer que le Récit de Joseph nous a transmis l'idée que la théorie ondulatoire a précédé la théorie corpusculaire, autrement dit la lumière a bel et bien précédé la matière. Toutes ces planètes, ce soleil et cette lune qui se prosternaient devant Joseph ne traduisaient en réalité que cette symphonie céleste dont parlait jadis le philosophe Pythagore, symphonie que reprend à son compte le verset 1 de la sourate « le vendredi » qui dit : « Ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre glorifient le Souverain ». Ainsi glorifier le Grand Architecte de l'univers n'est ni plus ni moins que témoigner d'une prise conscience qu'il y'a similitude et correspondance entre tous les êtres qui composent la Nature.

Cette glorification du transcendant de la part des planètes n'est en soi que l'expression d'une certaine nostalgie du retour à la source et une volonté de muer de cette corporalité devenue pesante qui voile une lumière immanente. Dans ce mouvement incessant autour du soleil, les planètes expriment à leurs manières leurs volonté de se perfectionner en vue de devenir libres comme elles l'étaient lors d'un monde ontologique.

Le vrai exil nous dit Sohrawardi n'est pas celui qui est dû à un hypothétique péché originel, mais plutôt à une véritable déchéance de l'être. Seule une conversion au sens plotinien du terme est donc susceptible de nous faire recouvrir cet être qui nous a fait défaut lors de cette chute.

Quand le verset 9 de la sourate le soleil nous dit à propos de l'âme « A réussi certes celui qui l'a purifié. Et a perdu, certes celui qui l'a corrompu », il veut nous dire tout simplement que celui qui a éveillé son âme à son Intellect Agent a gagné alors que celui qui ne l'a éveillé qu'à l'intellect ilyque (personnel) a perdu.

Bref et pour le dire autrement, le véritable exil consiste donc à effectuer un périple de la contingence à la nécessité, de l'étant à l'être et du ALAM AL MITHAL (monde de la métaphore) à ALAM AL MAMTÛL (monde des idées) comme le stipulait un des maîtres de la phénoménologie persane le philosophe Nasir Al-Din Al-Tusi [1201-1274], et enfin du non-être mouvant à l'être permanent comme le stipule la philosophie de Parménide.

IV- Les différents voyages de Joseph

Après l'épreuve du puits qui s'apparente à une sorte d'épreuve d'Anéantissement de l'égo et que l'on peut qualifier d'épreuve de la terre qui a permis à Joseph de mourir à ses préjugés en se débarrassant de ses mauvais compagnons que symbolisent ses propres frères et que le Coran qualifie d'ailleurs de Satan au verset 5, est venue l'épreuve de l'eau du puits qui va lui permettre de poursuivre sa purification, sachant que dans la tradition d'Abraham la purification par la terre n'a de valeur qu'en l'absence de l'eau.

Lorsque joseph a pu sortir du puits suite aux passants qui voulaient s'abreuver, il a subi l'épreuve de l'air à la Gloire de ce Principe même qui allait lui conférer par la suite la clé de l'herméneutique.

Devenu esclave en Egypte, Joseph a subi l'épreuve du Dénouement qui lui a acté définitivement la puissance du Ta'wil (verset21). Devenu majeur, il a eu accès à la Connaissance avant de subir à nouveau l'épreuve du Désir et de l'Amour de la part de la femme de son maître AL AZIZ qui voulait profiter de sa beauté légendaire, épreuve que l'on peut qualifier d'épreuve du feu de l'amour.

Devant cette ignominie, Joseph est resté stoïque préférant la prison à l'idée de consommer un amour charnel, lui qui a mis l'Amour Agapè qui est une sorte de feu Logos au sens d'Héraclite au-dessus même de l'amour philia et celui de l'Eros (verset 38).

Ce n'est lors que de son passage en prison qu'il a pu enfin exercer sa puissance d'herméneutique à travers les rêves des prisonniers qui partageaient sa cellule. Prison qui symbolise la négation même de l'Unicité du divin (verset 42).

Ainsi et à l'instar des oiseaux qui ont pris la huppe comme guide en vue d'approcher le Simorgh, Joseph a subi les épreuves des sept vallées du désir, de l'Amour, de la Connaissance, de l'Unicité, de la perplexité, du dénouement et de l'anéantissement avant d'atteindre enfin la vallée de la Plénitude, celle où réside le Simorgh qui n'est autre que l'être qui sommeillait en lui.

Cet exil de Joseph traduit son anéantissement dans le feu du Logos à l'instar des oiseaux du récit de Farid Din Attar qui se sont anéantis dans le feu du Simorgh ou de ces papillons qui cherchent à élucider la nature de la flamme.

En cela, le Récit de Joseph n'est en soi que le voyage vers soi-même guidé en cela par sa propre conscience. Conscience qui n'est qu'une étape intermédiaire dans ce voyage que le cheminant va accomplir au sein de son temple intérieur, conscience qui consiste à répondre par la positive à cette injonction socratique du « connais-toi toi-même » qui ouvre la porte de la connaissance de l'univers et du divin.

Parmi tous les oiseaux qui ont entamé la quête du Simorgh, seuls trente ont pu atteindre l'objectif final qui réside dans l'initiation effective. Trente qui est la signification même du mot Simorgh dans la langue persane (Si Morgh : trente oiseaux).

Dans le quantique des oiseaux nommé aussi le langage des oiseaux et que j'aimerais personnellement nommer « la Logique des oiseaux » car le mot arabe « MANTIQ » signifie aussi logique, Farid Din Attar montre à travers son récit que la quête initiatique n'est pas une simple quête linéaire mais plutôt une quête en spirale dans la mesure où le cheminant doit nécessairement repasser par toutes les différentes stations pour s'accomplir. Autrement dit tout initié doit se considérer comme un éternel apprenti excluant ainsi l'idée d'une quelconque acquisition définitive d'un tel ou tel Grade.

Cette notion d'initiation en spirale doit d'ailleurs alerter certains initiés qui pensent avoir une certaine station initiatique et qui prisonnier de l'orgueil s'obstinent à visiter les ateliers dits inférieurs à leur degré. A ceux-là et ils sont très nombreux à mon avis je leur rappelle ces paroles de Farid Din Attar : « Le renoncement aux illusions de la piété et à l'orgueil de la foi est un passage obligé du cheminement ».

V- Conclusion

En guise de conclusion, le récit de la sourate Yusuf est un récit visionnaire où l'imagination créatrice bas son plein. Un tel récit nous invite à une certaine élévation spirituelle qui passe forcément par une mort symbolique à ce monde que nous avons-nous-mêmes profané et par une renaissance à un monde de valeurs naturelles ensevelies par une dérive purement consumériste. De même, ce récit nous invite aussi à nous méfier d'une certaine fraternité galvaudée et dominée par un discours sophiste où l'éthique a cédé la place à une esthétique qui n'orne que le vis.

Tant que nous n'avons pas affronté l'Hadès et ses enfers, nous avons le devoir de suspendre tout jugement qui ne conduit in fine qu'au préjugé. En cela, méditons l'enseignement de Pyrrhon qui nous conseille de pratiquer l'humilité en nous servant constamment de cette interrogation dans toute acquisition d'un savoir : « Que sais-je ? ». Faisons aussi nôtre cette maxime de Démocrite qui stipule que « la Vérité est au fond du puits » tant que nous n'avons pas encore entre nos mains cette clé d'herméneutique qui a permis à Joseph de connaitre le sens premier des choses et de percer ce magnifique rêve qui consiste à voir toutes les planètes se prosterner devant lui.

« Êtes-vous un initié ? Mes Frères initiés me reconnaissent comme tel ». En voilà un sujet important qu'il va falloir intérioriser par tout un chacun pour en faire une véritable herméneutique ! Car comment peut-on prétendre connaitre la qualité d'autrui lorsque soi-même on n'est pas un initié effectif ? A ce propos, le verset 9 de la sourate AZ-ZUMAR nous interpelle en disant : « Dis ! Sont-ils égaux ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? Seuls les doués d'intelligence se rappellent »

Dans la Sourate dédiée à Joseph, nous lisons ceci : « Et les frères de Yusuf vinrent et entrèrent auprès de lui. Il les reconnut, mais eux ne le reconnurent pas ». Ainsi, nous en déduisons que la reconnaissance se fait de haut vers le bas et non le contraire. Autrement dit c'est bien Joseph, l'homme de connaissance qui a reconnu ses frères mêmes s'ils sont assujettis à l'ignorance totale alors qu'eux n'ont pas pu le reconnaitre. Par conséquent, pour reconnaitre quelqu'un en tant que tel, il faut être armé de la clé de l'herméneutique à l'instar de Joseph. Autrement dit, c'est la connaissance qui a conscience de l'ignorance et non le contraire. Celui qui connait sait que l'ignorant ne sait pas alors que l'ignorant qui par définition ne sait pas ignore que le connaissant sait.

Farid Din Attar voulait nous dire à travers son récit du quantique des oiseaux qu'il faut faire nôtre l'histoire de joseph et des oiseaux. Que cette histoire n'est in fine que l'histoire de l'âme humaine jetée dans le puits sombre de l'ignorance par sa propre négligence, par son propre orgueil et par son propre aveuglement. Chacun de nous doit prendre donc conscience qu'il porte en lui les frères tyranniques comme le sublime Joseph, les pulsions les plus viles comme les aspirations les plus hautes (Leili Anvar).

Tout compte fait, on peut dire que l'histoire de Joseph n'est en soi que la transcription de la sourate le soleil où il est question des deux voies possibles pour toute âme humaine que sont la purification ou la corruption. « Et par l'âme et celui qui l'a harmonieusement façonnée ; Et lui a alors inspiré son éparpillement, de même que sa piété ! A réussi celui qui l'a purifié. Et a perdu celui qui l'a corrompu.

Plusieurs récits ont symbolisé l'âme par l'oiseau - et notamment les récits de l'oiseau d'Avicenne, d'Al Ghazali et de Farid Din Attar - pour l'envole qu'il effectue lors de son voyage qui le conduit de la prison du monde terrestre vers la liberté que constitue le monde céleste. Quoi de plus naturel pour Farid Din Attar que de choisir d'intituler son livre le quantique des oiseaux relativement au quantique des quantiques de Salomon qui a eu ce pouvoir inégalé de connaitre le langage des oiseux, un langage sans mot qui échappe au discursif et donc à la doxa et qui reste réservé aux seuls initiés dont l'idéal est d'atteindre cette vérité que Parménide nommait ALETHEIA.

Quelle voie que celle qu'a choisi ce poète pour nous décrire une quête initiatique qui sort de l'ordinaire, une quête où les oiseaux posent des questions et expliquent leurs difficultés dans un langage commun pour ne pas dire universel ! Quelle initiation que celle vécue par Joseph dans ce puits où le langage courant était banni pour céder place à un langage que pratiquait toute une cosmologie qui a su faire comprendre à ce prophète qu'elle lui est assujettie pour l'éternité !

Quel voyage que celui des trente oiseaux qui ont traversés toutes les épreuves pour se voir en fin de compte en Simorgh à savoir en eux-mêmes ! Ce langage sans mot et sans onde physique est celui de l'indicible et d'une certaine herméneutique inédite et d'une expérience mystique hors du commun. C'est à propos de ce langage que Farid Din Attar a dit :

« Personne ne connait mon langage et mes mots

C'est la langue des oiseaux, Tu es leur Salomon

Ce poème qui de moi, jaillit, est paradoxe

Cette parole est le Vrai et Tu en es la Preuve »

Cette poésie traduit le récit d'une âme séparée de l'Etre aimé et jetée dans le monde que symbolise le puits et qui n'est que la terre d'exil. Le voyage qu'a accompli Joseph et qu'ont accomplis tous ces oiseaux n'est que le voyage d'un perfectionnement intellectuel et moral qui passe par le renoncement à soi (FANA) et à son égo en vue d'une survivance éternelle (BAQA) auprès de la source originelle. Une telle souffrance est la clé de voûte de tout travail spirituel et de tout amour qui se conçoit, souffrance que l'on retrouve présente à la fois dans le récit du quantique des oiseaux comme dans celui de Joseph.

Pour faire face à cette épreuve du Feu de l'Amour divin, Farid Din Attar lance cette injonction : « Sois un Homme ! », c'est-à-dire sois stoïque si tu veux accomplir ce voyage initiatique. Injonction que l'on retrouve autrement chez Jésus Christ qui disait : « Lève-toi et marche ! » ou chez le prophète Mohammad : « Mourez avant de mourir » ou même chez le philosophe Nietzsche qui disait : « Deviens qui tu es ! ».

Voyage que l'on peut qualifier de voyage du non-être à l'être au sens parménidien du terme. Voyage vers la Simorgh qui a son nid à l'Orient mais dont sa place en Occident ne reste pas vacante, Simorgh dont tous se préoccupent mais qui est vide de tous. Voyage où aucune distance n'est franchie et à propos de laquelle Farid Din Attar disait : « Se perdre dans le perdre, telle est ma religion. Être dans le non-être, voilà mon credo ». Autrement dit, dans ce voyage, il faut mourir pour renaitre, se perdre pour se retrouver et devenir rien pour devenir Tout selon la poétique de Farid Din Attar. Être dans le non-être n'est en soi que la philosophie même de Parménide et d'Husserl.

Faisons donc preuve d'humilité et méditons ensemble sur ces lettres de lumières qui font l'objet même de l'ouverture de la sourate Joseph. ALIF - LAM - RA. Un triptyque de lettres épelées qui cachent un véritable mystère intimement lié au divin. Par ces lettres épelées, le Corpus coranique nous incite donc à prendre conscience que nous ne savons ni lire ni écrire et que nous savons à peine épeler. Il faut bien savoir que la première sourate l'Adhérence descendue sur le prophète commence par « IKRA » à savoir « Lis !» qui signifie étymologiquement « relie ! » des lettres entre elles après les avoir épelées afin d'en constituer une chaîne de lettres et donc de symboles dont il faut par la suite en dégager l'idée qui s'en cache derrière.

« Lis ! au nom de ton seigneur qui a créé, créé l'homme d'une adhérence. Lis ! Ton seigneur est le plus noble qui a enseigné par la plume, a enseigné à l'homme ce qu'il ne savait pas. Prenez-garde ! vraiment l'homme devient rebelle, dès qu'il estime qu'il peut se suffire à lui-même, mais c'est vers ton seigneur qu'est le retour ».

Ainsi, tout est dit dans cette sourate qui stipule que l'homme a débuté par une adhérence à l'instar de la phrase qui débute par la lettre à épeler. Cette adhérence comme cette lettre isolée est porteuse en immanence d'une connaissance inestimable et insoupçonnable que l'homme a tendance à négliger de par son arrogance et son ingratitude, lui qui dès qu'il estime qu'il peut se suffire à lui-même devient suffisant. Or, il se trouve que cette connaissance innée en l'homme se trouve être le guide par excellence qui permet à l'homme de remonter une à une les hypostases de l'émanation jusqu'à l'étape où l'annihilation en l'ineffable « FANA » et la survivance éternelle « AL BAQA » se conjoignent.

Contrairement à ses frères tyranniques qui étaient animés par les pulsions les plus viles et qui se sont montrés par conséquent suffisants, Joseph a choisi la voie de la sagesse et des aspirations les plus hautes par la voie de l'introspection et du fil à plomb, voie qui l'a amené à expérimenter et faire sien cette devise alchimique V.I.T.R.I.O.L qui nous dit : « Visite l'intérieur de la terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée », devise qui dit en latin : « Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem », devise qui n'est autre que la maxime delphique du « connais-toi toi-même »

Dans le quantique des oiseaux Farid Din Attar nous propose la voie de la conjonction des opposés qui était chère au philosophe Héraclite comme la voie par excellence pour atteindre l'unité ; Cette conjonction concerne le FANA et la BAQA, les ténèbres et la lumière, l'immanence et la transcendance, le féminin et le masculin, l'occident et l'orient car le cheminement se fait vers les profondeurs de l'être comme vers les hauteurs célestes. Un tel cheminement est à la fois centripète et centrifuge et tend vers l'unité en se diffractant dans la diversité.

Le verset de la sourate 53 de la sourate les Appartements explicite à merveille cette idée du cheminement dont nous parle si bien le poète Farid Din Attar. Elle dit : « Nous leur montrerons nos signes dans l'univers et en eux-mêmes jusqu'à ce qu'ils leu devienne évident qu'il est la vérité ». Ainsi la Vérité-Un tant recherchée semble être diffractée dans la diversité puisqu'on trouve ses signes (AYAT ou versets) à la fois dans l'univers et au fond de nous-mêmes. Une telle vérité semble donc être la conjonction de l'exotérique (en apparence dans l'univers) et de l'ésotérique (cachée en nous-mêmes) comme le stipule le verset 3 de la sourate le Fer à propos de l'indicible et de l'ineffable : « Il est le Premier et le Dernier, l'Apparent et le Caché ».

Pour ce poète qui s'inscrit dans la théorie de la connaissance de Socrate, l'Amour qui engendre perplexité et plénitude doit être au-dessus du clivage entre foi et incroyance, entre le bien et le mal pour ne pas dire au-dessus de la Loi elle-même. Ce poète estime que le renoncement aux illusions de la piété et à l'orgueil de la foi est la condition sine qua non à tout cheminement digne de ce nom.

Je termine par ces paroles de Farid Din Attar :

- « L'œuvre des vrais hommes est d'effacer leur moi »

- « Toutes les connaissances dérivent de l'incantation de cette Simorgh. Tant que tu n'as pas vu Salomon certaine nuit, comment connaitrais-tu la langue des oiseaux ? »

- « Prêtons alors l'oreille de l'âme au langage des oiseux et après l'avoir entendu et compris, jetons-nous dans le feu Simorgh »